On ne sait toujours pas qui est le street-artiste Banksy, mais il n’aura échappé à personne que ses causes sont toujours très politiques et qu’il ne penche pas vraiment à droite. Ses œuvres clandestines au pochoir, qui atteignent aujourd’hui des valeurs faramineuses, éclosent de manière impromptue çà et là, parfois dans des zones conflictuelles et hautement exposées, comme le mur de Gaza. À Calais, Banksy a réalisé trois œuvres en hommage aux migrants : une reprise du Radeau de la Méduse de Géricault ; une silhouette d’enfant muni d’un petit bagage et d’une longue-vue dardant l’Angleterre sur laquelle s’est perché un inquiétant vautour ; et surtout, feu Steve Jobs… Oui, Steve Jobs, le cofondateur d’Apple, en jean et col roulé, muni d’un baluchon dans la main gauche et portant à bout de bras un vieux Macintosh. Il a l’air en alerte, méfiant. Le pochoir a été exécuté dans le camp même des réfugiés, parmi les milliers de tentes, en 2015. Il a pour titre : Le Fils d’un migrant syrien. L’artiste explique ainsi son effigie : « On pense souvent que l’immigration épuise l’économie d’un pays mais Apple est l’entreprise qui rapporte le plus de profits au monde ; elle paie plus de 7 milliards de dollars d’impôts par an. Et elle n’existerait pas si un jeune homme venu de Homs n’avait pas été autorisé à passer la frontière. » Les œuvres de Banksy font très souvent mouche mais celle-ci n’est pas sans susciter un peu d’embarras. Certes, c’est exact : le géniteur de Steve Jobs était Syrien. Mais, d’après tous les témoignages, son fils n’y faisait guère allusion et devait sa passion pour l’électronique à son père adoptif. Surtout, derrière l’humanisme apparent – et certainement sincère – de Banksy, le message véhiculé est tout de même fort maladroit : si c’est au nom d’un bienfait économique qu’on légitime l’accueil de migrants, quelle place faut-il accorder à ceux qui n’ont rien d’autre à apporter que leur désespoir et leur fuite, loin du désarroi et des guerres ? Est-ce que l’on doit infléchir la solidarité internationale s’il n’y a pas de futurs inventeurs de tablettes et d’iPhone, ni les parents d’un génie, parmi les flux de ces pauvres gens ? Les magazines The Verge et surtout Wired ne manquent pas d’égratigner l’artiste sur ces points… Le pochoir, étant donné sa valeur symbolique et pécuniaire, s’est ensuite trouvé protégé par la mairie. Mais, dans le même temps, voilà sa visibilité monnayée par des réfugiés. Pour échapper un peu à la misère, ils réclament quelques euros en échange de l’accès à l’œuvre, alors que la pratique de Banksy se veut justement ultradémocratique. Enfin, des dégradations ont lieu et l’œuvre a aujourd’hui disparu. C’est en somme un drôle de destin que celui du Fils d’un migrant syrien. Pour une fois (et c’est rarissime sinon unique), Banksy, si prompt à piéger le système, semble vraiment s’être fourvoyé. Il n’a pas mesuré que, sur un sujet aussi sensible et complexe, tout argument n’est pas forcément constructif au nom des bons sentiments qui l’accompagnent et qu’il peut même se retourner contre l’ambition qu’il prétend défendre. L’image avait des qualités évidentes. Elle était forte, percutante, très habilement réalisée et placée en un lieu clé. Elle était loin d’être ratée… Mais elle a raté sa cible. 

 

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