« Et l’oiseau le plus libre a pour cage un climat. » Ce vers prémonitoire de Victor Hugo situe d’emblée ce qu’il y a de limites dans la liberté, comme si le mot – et ce qu’il recouvre – devait, à peine entrevu, être entravé. Y compris par les excès d’une humanité qui restreint elle-même son aire de vie en détruisant son environnement. Rousseau, avant Hugo, l’avait asséné dans cette phrase définitive et sans cesse questionnée qui ouvre le Contrat social : « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers. » Encore faut-il poursuivre plus avant la lecture pour trouver le clou enfoncé : « Tel se croit le maître des autres, qui ne laisse pas d’être plus esclave qu’eux. »

La liberté, la grande affaire. Après l’épidémie qui a plongé notre pays dans une forme de servitude volontaire (et voici La Boétie), après des semaines de confinement qui ont bousculé nos libertés les plus élémentaires, celles d’aller et venir, de se réunir entre amis ou dans des salles de spectacle, la question se pose : sommes-nous libres, moins libres, libres autrement, sachant que les applications de traçage et autres outils de surveillance sanitaire pour notre bien – la philosophe Cynthia Fleury parle de « biensurveillance » – ont allègrement mordu, avec ou sans notre consentement, la ligne jaune de nos libertés individuelles ?

En France, la liberté ne va jamais seule. Elle est partie prenante, mais en première ligne, pour reprendre une expression du moment, d’une triade révolutionnaire qui lui associe l’égalité et la fraternité. Et comme nous le rappelle avec clarté Mona Ozouf, ces valeurs se complètent autant qu’elles peuvent empiéter l’une sur l’autre. Il arrive ainsi qu’on sacrifie la liberté à l’égalité, et vice versa. Si l’historienne de la Révolution réserve à la liberté une tendresse particulière, c’est, dit-elle, pour sa perméabilité au divers, au refus de l’uniformité, à la contestation aussi de ce « une et indivisible » que veut incarner la République. Pas si simple d’être libre, même si le grand critique littéraire de l’entre-deux-guerres Albert Thibaudet assurait que la liberté « pousserait encore entre les interstices, comme la giroflée entre deux pierres ». À l’évidence elle n’est pas partout à la fête, ainsi qu’en témoigne l’écrivaine chinoise Fang Fang, inquiétée pour ses écrits, qui avoue s’exprimer « de l’intérieur d’une cage ». Question de culture, la liberté se décline – sans forcément décliner – différemment selon qu’on est français, israélien ou natif du Japon – où l’individu s’efface au point de s’interdire le « je ». La liberté reste une montagne à gravir, la récompense du voyageur contemplant une mer de nuages du tableau de Caspar David Friedrich, que décrypte pour nous l’historien de l’art Thomas Schlesser.

Liberté, j’écris, nous écrivons ton nom, à la manière d’Éluard, sur nos cahiers d’écolier, cet été sur le sable plus que sur la neige, sur toutes les pages lues, sur toutes les pages blanches, sur la page pliée de ce journal prêt à s’envoler entre vos mains, tel l’oiseau devant la grille enfin ouverte… 

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