Pouvez-vous retracer en quelques mots l’histoire de la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » ?

Difficile, parce que l’histoire est longue. Il faut d’abord abandonner l’idée, fort répandue, que la devise surgit tout armée de la Révolution française. Certes, les mots de liberté et d’égalité sont alors partout, sur les lèvres des orateurs, dans le papier des affiches ou sur la faïence des assiettes. Ils sont apparus côte à côte dès la Déclaration des droits. Mais ils voisinent avec des abstractions qui les concurrencent – Vérité, Sûreté, Justice. Ils peinent donc à s’agréger en devise, et ne parviennent pas à la dignité institutionnelle.

Dès lors, on peut s’attendre à ce que cette triade incertaine ait une histoire contrastée dans un XIXe siècle agité où pas un régime ne dure plus de dix-huit ans. Le Premier Empire garde de ses origines le mot de Liberté, mais tend à l’équilibrer – ou, comme on voudra, à l’assassiner – en lui adjoignant celui d’Ordre public. Les deux monarchies restaurées bannissent à la fois l’égalité et la liberté. La monarchie de Juillet, bien que née d’une révolution – et qui le sait au point d’en adopter le nom et de garder les trois couleurs –, recule pourtant devant la devise. C’est une autre révolution, celle de 1848, et l’avènement d’une république nouvelle qui l’inscrit enfin dans le texte constitutionnel et, c’est là son apport décisif, lui donne, en lui adjoignant la fraternité, son rythme ternaire. Triomphe éphémère cependant : le coup d’État de 1851 ramène, avec l’Empire, la prédilection pour l’ordre public. Il faut donc attendre encore la défaite de 1870, la difficile installation d’une République troisième du nom pour voir, en 1880, la devise se pérenniser et acquérir l’évidence qu’elle a pour nous aujourd’hui. Encore devra-t-elle subir un dernier outrage, abandonnée au profit de bien plus prosaïque : le « Travail, Famille, Patrie » d’un vieux maréchal.

 

Quelles ont été les principales sources d’inspiration ?

Multiples. On pense d’abord à l’exemple américain, qui avait joué un rôle dans l’élaboration de la Déclaration des droits. Mais l’inspiration de la devise venait d’une longue préhistoire. Les Lumières, pour commencer. Au cours du siècle précédent, la lutte contre l’absolutisme avait été menée au nom des libertés, et l’innovation de la Révolution est d’avoir abandonné le pluriel – qui avait partie liée avec les droits historiques et les privilèges particuliers – pour l’universalité du singulier, une liberté pour tous. On peut encore penser à l’héritage de la maçonnerie : le goût des abstractions ternaires avait, selon George Sand qui le raconte dans Consuelo, voyagé souterrainement à travers les sectes et les sociétés secrètes. Il y a enfin les racines chrétiennes. Chateaubriand conclut les Mémoires d’outre-tombe par une prophétie : la « religion du libérateur », à ses yeux loin d’être épuisée, entre à peine dans sa troisième période, politique celle-ci, et qui se résume en trois mots : Liberté, Égalité, Fraternité. De cette inspiration évangélique, il y a une scène remarquable : place des Vosges, en 1848, Hugo préside à la plantation d’un arbre de la liberté. Le premier d’entre eux, dit-il, n

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