« Je m’exprime de l’intérieur d’une cage »
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La liberté de s’exprimer est une chose après laquelle je cours depuis longtemps, toute une vie. Pour beaucoup d’écrivains qui ne sont pas chinois, il doit être difficile de comprendre pourquoi il est si compliqué en Chine pour les gens qui écrivent de s’exprimer librement.
J’aurais dû mal à l’expliquer moi-même. Car depuis que je suis en âge de raisonner, je m’exprime de l’intérieur d’une cage. Personne ne m’a jamais appris qu’on pouvait s’exprimer librement. Au contraire, l’éducation que j’ai reçue m’a éternellement rabâché : « Il n’est pas permis de dire ceci, il n’est pas autorisé d’écrire cela. » Et si on le faisait quand même, direz-vous, que risquait-on ? On était critiqué, sanctionné, arrêté, voire exécuté. C’est avéré. Nous avons été témoins par le passé du prix effarant payé par ceux qui contrevenaient à ces règles. Alors, quand nous sommes devenus adultes, nul n’a eu besoin de nous mettre en garde : nous avions parfaitement conscience que nous devions nous restreindre de nous-mêmes, que chaque parole prononcée, chaque ligne écrite, devait se conformer à ce qui était prescrit.
Telle une corde passée autour de mon cou et de mes poignets, cet impératif de parler et d’écrire selon certaines règles établies me freine depuis bien longtemps maintenant. Comme tous les Chinois de mon époque, j’ai une sensibilité naturelle particulièrement développée à l’égard de ce qu’il est possible de dire ou non, et même une sorte de crainte. Nous avons grandi avec la conscience qu’il existait des « zones interdites ». Elles ont toujours été là, à nous suivre comme nos ombres. Comme suspendues dans l’air, et capables de s’infiltrer au plus profond de nos âmes. Certains mots se sont encastrés jusque dans nos nerfs : quand il leur arrivait de surgir inopinément, nous les chassions aussitôt dans un réflexe conditionné. Oui, c’est ainsi que les choses se passaient dans ma jeunesse, à une époque marquée du sceau de l’absurde. Dans le groupe d’étudiants en lettres dont je faisais partie, nous avons même été jusqu’à discuter le plus sérieusement du monde de savoir si la littérature pouvait ou non parler d’amour.
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