Depuis la Renaissance, une grande conquête est en cours dans l’histoire de l’art : celle de la liberté individuelle, laquelle permet aux peintres et aux sculpteurs de dire « je » et de s’imposer comme créateur plutôt que d’en rester au stade de la créature aux mains d’un dieu ou d’un prince. Un combat est engagé pour disposer de soi-même pleinement, afin de représenter exactement ce que l’on souhaite – Jésus en croix, une nymphe assoupie ou un âne qui braie… – et avec toutes les licences possibles, au bon vouloir de sa fantaisie. Caspar David Friedrich a passé les 45 ans quand il réalise une des plus fortes icônes de ce difficile et courageux combat séculaire. Il s’agit du Voyageur contemplant une mer de nuages.

Cette œuvre est magistrale parce qu’elle distille la sensation d’ampleur ou d’amplitude (pas seulement l’abstraction un peu factice de l’infini) dans un format relativement modeste. Mais surtout, elle ramasse à merveille ce qui fait l’intensité de la liberté : la hauteur de l’homme sur un rocher, la puissance des éléments que charrie la mèche au vent, l’espace qui se déploie et l’horizon qui attend, la pause et le silence aussi, loin des coercitions sociales. Intense, la liberté l’est également parce qu’elle s’acquiert durement. Ici, en l’occurrence, c’est au prix d’un effort physique et mental : le voyageur a gravi les cimes et affronte le vertige dans un face-à-face solitaire avec la brume et les

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