Les poèmes de l’Américaine Elizabeth Bishop naissent souvent de la géographie. Ils sont nourris par son enfance en Nouvelle-Angleterre, ses voyages en Floride, au Mexique ou au Brésil. Même le minuscule y est paysage. Il se mêle aux descriptions des plages, des falaises ou des rivières comme pour apprivoiser l’étrangeté du monde. 

La terre baigne dans l’eau ; elle est ombrée de vert.
Sur ses bords, des ombres, ou est-ce des hauts-fonds, révèlent
la ligne des longs bancs rocheux tapissés de varech
où les algues flottent vers le pur bleu depuis le vert.
Ou est-ce la terre qui s’incline pour soulever la mer,
l’enrouler autour d’elle, imperturbable ?
Le long de la mince plate-forme ocrée de sable
est-ce la terre qui d’en dessous tire sur la mer ? 
 
L’ombre de Terre-Neuve s’étend plate et paisible.
Le Labrador est jaune, où le lunaire Esquimau
l’a huilé. On peut caresser ces baies charmantes,
sous vitres comme si elles étaient censées fleurir
ou servir de cage pure à des poissons invisibles.
Les noms des villages côtiers s’avancent dans la mer,
ceux des villes franchissent les montagnes voisines
– l’imprimeur éprouvant ici la même excitation
que lorsque l’émotion dépasse à l’excès sa cause. 
Ces péninsules saisissent l’eau entre pouce et index
comme des femmes palpent la souplesse de coupons.
 
Sur les cartes les eaux sont plus tranquilles que la terre,
elles lui donnent la configuration même de leurs vagues :
et le lièvre de Norvège fuit vers le sud avec alarme,
des profils inspectent la mer, là où est la terre.
Sont-elles fixées, ou les pays ont-ils le choix de leurs couleurs ? 
– Ce qui sied le mieux à leur caractère ou aux eaux locales.
La topographie ne montre pas de préférences ; Nord et Ouest se valent.
Plus nuancé que l’historien est le cartographe dans ses couleurs.

Nord & Sud, traduit de l’américain par Claire Malroux © Éditions Circé, 1996

 

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