La force d’une expression peut-elle transcender les pesanteurs et les inquiétudes du moment, et susciter l’espérance ? En appelant à la formation d’un nouveau « Front populaire » au soir du 9 juin, François Ruffin avait sans doute conscience (mais jusqu’où ?) de réactiver une puissante mythologie de la gauche. Celle qui s’unit en 1936 pour laisser dans l’histoire, malgré une fin tragique, un héritage d’acquis sociaux incomparables, de la semaine de 40 heures aux congés payés. Mais, comme le rappelle l’historien Gilles Candar, les forces de gauche totalisaient alors 57 % des suffrages exprimés, bien plus que les 32 % dont elles peuvent aujourd’hui se prévaloir. Pour autant, la capacité de ce nouveau Front populaire à rassembler, sinon une majorité, tout au moins les « fâchés pas fachos » ne saurait être totalement exclue. Parce qu’il existe dans notre pays un réflexe de dernier moment pour empêcher l’accès de l’extrême droite au pouvoir, ainsi que l’ont montré en leur temps les victoires d’Emmanuel Macron en 2017 et 2022. 

Ces ressorts sont-ils si émoussés qu’ils seront insuffisants lors de ces législatives à très haut risque pour la démocratie ? Beaucoup d’incertitudes demeurent. Stratégiques : les différentes composantes de la famille de gauche passeront-elles vraiment par-dessus leurs dissensions de fond ? Programmatiques : un « programme commun » a minima (encore une notion mythique malheureuse…) sera-t-il possible et crédible ? De ce point de vue, la directrice d’Oxfam France, Cécile Duflot, prévient : « Si cette coalition politique l’emporte, nous exigerons des rendez-vous tous les mois pour vérifier que les engagements sont bien tenus ! » Au-delà de la sémantique, l’enjeu de crédibilité est crucial : « Front populaire », comme « Démocraties populaires » jadis, ne doit pas résonner comme « deux mots, deux mensonges ». Enfin, quid des 103 triangulaires et des nombreux duels serrés attendus au soir du 30 juin, selon l’analyse cartographiée d’Hervé Le Bras ? « Le RN, qui est maintenant en tête, pourrait obtenir une majorité de sièges et les reports qui jusqu’alors favorisaient le centre pourraient ne pas se produire », observe le démographe.

Devant pareil danger, les propos du chef de l’État renvoyant dos à dos le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national continuent de questionner. Comme son recours au terme « immigrationniste », clairement d’extrême droite, pour qualifier la politique migratoire de la gauche unie. Les masques, comme le pouvoir, finissent de tomber. Le vrai visage du « en-même-temps », couvé au sein d’une gauche social-démocrate, se révèle « et de droite, et de droite ». Et si le pouvoir n’est plus à prendre mais à ramasser, une gauche perdante et un camp présidentiel perdu laisseraient la mise à la pire des solutions. Qui le veut ? 

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