En théorie, les territoires ruraux et les millions de jeunes qui y vivent (30 % des 3 à 24 ans) pourraient être au cœur des préoccupations de la gauche. Celle-ci aurait pu décider de traiter les inégalités sociales et territoriales qu’ils rencontrent. Elle aurait pu chercher des solutions à leurs difficultés d’accès à l’emploi et aux services publics. Elle aurait pu questionner les entraves à leur émancipation individuelle. Elle aurait pu se mobiliser contre les conséquences directes de la mondialisation sur ces territoires et sur eux. 

Pourtant, la gauche, comme tous les autres partis politiques, les médias ou le secteur privé, a longtemps délaissé ces jeunes ruraux. Jusqu’au tournant des années 2019-2020, ceux-ci demeuraient dans l’angle mort des pouvoirs publics et des dispositifs d’égalité des chances. Réduits, dans l’imaginaire collectif, à une poignée de filles et de fils d’agriculteurs. Cibles peu stratégiques sur le plan électoral. Ces choix ont fait le lit de l’abstention et surtout du RN, trop heureux de se présenter comme le parti sauveur, connecté au réel des habitants des « territoires », seul défenseur de leur mode de vie. 

Depuis une vingtaine d’années, l’évolution à la baisse de la qualité de vie en ruralité est, c’est une évidence, vécue comme un déclassement par les jeunes qui y grandissent et par leurs parents. Une distance physique et symbolique s’est installée, puis intensifiée, d’autant plus que les ruraux, à travers les réseaux sociaux, les séries télévisées ou les médias, perçoivent bien que non, ce n’est pas « partout pareil ». 

« Il y a là une réelle opportunité pour la gauche »

Dans l’enquête menée par Chemins d’avenirs et l’institut Terram en mai 2024, nous mettons en avant des données qui pourraient inspirer la gauche si celle-ci cherchait vraiment des solutions pour ces territoires et leurs jeunes habitants. À titre d’exemple, ces derniers passent en moyenne 2 h 37 dans les transports chaque jour, 42 minutes de plus que les jeunes urbains. Les zones rurales étant mal desservies par les transports en commun, ces jeunes dépendent de la voiture qu’ils sont 69 % à utiliser au quotidien, avec un budget transport de 538 euros par mois en moyenne, contre 307 euros pour les jeunes urbains. Parce que tout est loin et parce que se déplacer coûte cher, les jeunes ruraux se privent. Ainsi un sur deux a-t-il renoncé à une pratique culturelle ou à un loisir pour des raisons d’éloignement ou de difficultés de transport. Et alors que l’orientation scolaire et professionnelle représente un moment charnière pour permettre la mobilité sociale et que sept formations sur dix sont situées dans les grandes villes, presque rien n’est pensé pour que l’éloignement physique, financier et symbolique des jeunes ruraux cesse d’être un frein dans la construction de leur parcours académique, professionnel et citoyen.

Toute formation politique qui passe à côté de ces sujets prend le risque d’être perçue comme déconnectée du « vrai monde ».

Il y a là une réelle opportunité pour la gauche. Cela suppose qu’elle change d’optique. Si elle se met à parler de voitures – et pas juste de voitures électriques –, de prix du carburant, de sport amateur, de services publics, d’accès aux soins, à la culture et aux loisirs, de la place des femmes en ruralité, elle aura fait une partie du chemin. Si elle commence à valoriser les jeunes ruraux dans ses rangs, permettant ainsi une meilleure représentation de leurs enjeux au niveau national, elle aura aussi avancé. Si elle conçoit des politiques concrètes, susceptibles d’influer favorablement sur le quotidien des jeunes ruraux, elle gagnera en crédibilité.

Mais le plus important, le plus durable, c’est surtout que la gauche pense son rôle politique auprès des jeunes ruraux sur le long terme. Sans les opposer au reste du pays. Sans jouer la carte de la division. La plus grande victoire se jouera dans la confiance des jeunes ruraux en la gauche, certes, mais surtout dans leur confiance en l’avenir et en eux-mêmes. 

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