Depuis l’annonce de la dissolution le 9 juin, la gauche a déjà réussi à battre bien des records. Contre toute attente, elle est parvenue en quatre jours à proposer une alliance sans précédent dans son ampleur depuis 1936, regroupant l’ensemble des sensibilités de cette famille politique, du Nouveau Parti anticapitaliste au Parti socialiste, et ce sans couac majeur, malgré une campagne européenne à couteaux tirés entre LFI et la liste PS. Elle a mobilisé derrière elle la quasi-totalité des syndicats – de la FSU à la CGT, des organisations qui s’étaient jusqu’ici tenues à l’écart des différentes formes d’union de la gauche, ainsi que des ONG de défense des droits humains et des centaines d’intellectuels, ou encore des dizaines d’influenceurs qui défendent son programme et ses dirigeants sur les réseaux sociaux. Elle a enfin réussi à proposer un programme –  certes, en partie repris de celui de la Nupes en 2022, dont elle a gommé certaines des mesures les plus irréalistes. 

Toutes les conditions semblent a priori réunies pour permettre à cette famille politique de tirer son épingle du jeu lors de l’élection à venir. Pourtant, dix jours avant le scrutin, ce sont l’angoisse et un certain fatalisme qui dominent, et ses électeurs en sont à se contenter d’espérer au moins empêcher le RN d’obtenir la majorité absolue et de former un gouvernement. Plusieurs raisons expliquent cette situation : le niveau historiquement faible de la gauche, qui représente environ un tiers de l’électorat ; le rejet que certaines de ses composantes – à commencer par la France insoumise – inspirent à une partie importante de la population, qui la juge déconnectée, donneuse de leçons et autoritaire ; ou encore son unité de façade dont les Français ont peine à croire qu’elle survivra à l’élection. 

« Le réflexe antifasciste, pour efficace qu’il soit, ne fait pas un programme »

Dans ce contexte mitigé, les conditions d’une victoire – encore possible – de cette coalition sont de plusieurs ordres. Certaines sont internes à la coalition, d’autres dépendront de ses partenaires et de ses adversaires. La première tient à la solidité de la coalition mise en place. Le NFP est sous le feu des critiques de la coalition présidentielle comme de l’extrême droite, surveillée par les médias qui guettent la moindre faille dans cette alliance que certains auraient jugée improbable voici seulement quelques semaines. De ce fait, il est urgent de continuer à afficher un front commun, et de rappeler qu’une coalition n’est pas un parti, mais une alliance entre des formations qui ne partagent pas forcément les mêmes idées sur tous les sujets, mais disposent au moins de valeurs communes. Le réflexe antifasciste, pour efficace qu’il soit, ne fait pas un programme. Il est urgent de dire quel espoir d’une société meilleure cette coalition offrirait au pays dans les années à venir si elle venait à gouverner. Cette question est évidemment corollaire du centre de gravité de la coalition, qu’il s’agira de préciser rapidement après les résultats du premier tour qui mesureront le rapport de force entre les différents partis.

Autre élément important : l’absence d’incarnation est une faiblesse actuelle du Nouveau Front populaire. Alors que ses adversaires avancent des noms et des visages pour diriger le gouvernement en cas de victoire de l’actuelle majorité ou du RN, le NFP a préféré dévoiler les contours de son programme. C’est tout à son honneur, mais la personnalisation de la vie politique est telle qu’il devient difficile d’imaginer la victoire sans leader annoncé. Une telle difficulté pourrait être partiellement corrigée si la coalition proposait, dans les deux semaines qui viennent, les contours d’un gouvernement à venir, en annonçant une liste de personnalités qui pourraient le composer. Cette sorte de shadow government (« cabinet fantôme »), fréquente chez nos voisins britanniques, aurait le mérite de limiter l’incertitude sur la nature du futur gouvernement, et de nourrir la dynamique d’adhésion et de projection dans une victoire future. Une dernière condition interne au NFP pour une éventuelle victoire tiendrait à une volonté affirmée de dépasser les frontières de la gauche actuelle. L’étiage actuel des forces de gauche rend difficilement concevable une majorité absolue. Sans le soutien d’électeurs issus d’autres familles politiques, rien n’est actuellement possible. L’heure a beau être aujourd’hui à la mobilisation du peuple de gauche pour le premier tour, il sera néanmoins indispensable que la campagne d’entre-deux-tours propose le débordement du seul Front populaire pour voir émerger une majorité d’unité républicaine. 

À ces enjeux internes à la coalition viennent s’adjoindre deux éléments extérieurs. Le premier est la mobilisation de la société civile – syndicats, ONG, associations, influenceurs, médias –, des relais d’opinion essentiels qui rejettent massivement la possibilité d’un gouvernement RN. Les mobilisations du week-end dernier sont une première étape, sur lequel le NFP doit s’appuyer pour nourrir une dynamique susceptible de favoriser la participation électorale, où se trouvent les réservoirs de vote les plus importants à gauche. Le second – le plus important – tiendra à l’attitude de la majorité présidentielle dans l’entre-deux-tours. Si le président en venait à payer la dette qu’il a contractée auprès des électeurs de gauche qui ont voté par deux fois pour lui en 2017 et 2022 au second tour de l’élection présidentielle contre Marine Le Pen, il pourrait accepter de limiter les triangulaires en consentant à certains désistements de ses candidats (ou de ceux du NFP) pour faire barrage au RN. Une décision inverse aurait pour conséquence d’accélérer une dynamique RN et de rendre impossible toute alternative. Évidemment, une telle décision dépendra de l’ampleur de la défaite du camp macroniste. En cas de déroute totale, la rancœur sera grande contre le président apprenti sorcier au sein de l’actuelle majorité, et ses alliés finiront de se détourner de lui, à commencer par Édouard Philippe. Renaissance et les partis de droite membres de l’actuelle majorité présidentielle comme Horizons seront d’autant moins prompts à imaginer une logique de désistement, si cela signifiait la disparition de la famille politique qu’ils ont constituée sur les décombres des autres partis. Une défaite plus limitée, qui garantirait l’existence d’un groupe plus conséquent pour cette famille politique, permettrait de rouvrir les possibles. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !