Les sondages habituent à une vision simple du résultat des élections : tel parti, tel pourcentage de voix. En réalité, la proportion d’élus de chaque parti s’éloigne souvent nettement de ces pourcentages. Hillary Clinton avait obtenu en 2016 six millions de voix de plus que Donald Trump lors de la présidentielle américaine, mais les règles complexes de désignation des grands électeurs ont inversé le résultat. En France, le scrutin majoritaire à deux tours avantage les partis qui ont obtenu le plus de suffrages, ainsi que ceux qui, au centre, peuvent bénéficier des reports des deux « extrêmes » au second tour. Aux élections départementales (donc cantonales) de 2015, la droite et la gauche avaient obtenu 35 % des voix et le FN 27 %. Mais à l’arrivée, la droite, évidemment située entre les deux autres tendances, a obtenu 1 200 cantons, la gauche 700 et le FN (devenu le RN en 2018), une trentaine seulement. 

Le 30 juin prochain, on pourrait assister à une inversion de cette expérience passée. Maintenant en tête, le RN pourrait obtenir une majorité de sièges, et les reports qui jusqu’alors favorisaient le centre pourraient ne pas se produire en raison des attaques de Macron et d’Attal contre les deux « extrêmes ». Pour approfondir la question on se livre ici non à une prévision mais à une prospective quantitative à partir de bases précises, en deux temps.

Partant de la répartition des votes en faveur du RN, de LR, d’Ensemble (la majorité présidentielle) et des quatre partis groupés sous la bannière Nouveau Front populaire, dans chaque circonscription, on ajuste proportionnellement leurs résultats à ceux de la moyenne des sondages effectués jusqu’au 18 juin : 29 % pour le Front populaire, 18,5 % pour Ensemble, 6,5 % pour LR et 33 % pour le RN. En supposant une participation de 63 % que donnent les sondages, on détermine lesquels des quatre partis importants ont pu se maintenir au second tour.

Alors qu’aux législatives de 2022, seulement cinq triangulaires avaient eu lieu, 103 pourraient se produire le 30 juin, mais, dans beaucoup de cas, uniquement parce que des partis auraient dépassé le seuil légal des 12,5 % d’inscrits de quelques dixièmes de points. À côté des triangulaires, on assisterait à 447 duels dans les circonscriptions métropolitaines (le cas des 20 circonscriptions des DROM-COM, que l’on appelait avant les DOM-TOM, n’a pas été pris en compte car leur traitement est plus aléatoire).

Le résultat du second tour ne dépend pas seulement des partis présents au premier tour, mais des partis proches dont ils peuvent attirer les électeurs de leur tendance au second tour : divers droite pour LR ; divers gauche pour le Front populaire ; Reconquête, Asselineau et Philippot pour le RN. Arrivent alors en tête du second tour dans 292 circonscriptions les candidats d’extrême droite, dans 195, ceux de gauche, et dans 16, ceux des partis du gouvernement et aucun LR. 47 circonscriptions ont été mises à l’écart à cause de la proximité des scores des candidats présents au second tour. Sur la première carte, on a représenté les résultats des trois tendances en laissant vides les 47 circonscriptions plus incertaines. 

Appliquée aux résultats de l’élection législative de 2022, la même méthode a montré que les reports entre les deux tours avaient peu chamboulé les rapports de force au premier tour (pour les six types possibles de duels entre les quatre tendances, la corrélation entre l’écart au premier tour et au second est toujours voisine de 0,9, ce qui signifie une forte similarité des résultats). Sur la seconde carte, on a indiqué les circonscriptions où une triangulaire pourrait se produire ainsi que les 47 situations peu claires. La moitié des circonscriptions où l’ancienne majorité pourrait l’emporter sont triangulaires. C’est le cas d’un cinquième des circonscriptions que pourrait gagner la gauche et d’un septième de celles qui pourraient aller à l’extrême droite. 

Les circonscriptions où le RN s’imposerait se répartissent dans un grand Nord-Est, au centre, sur les rives de la Méditerranée et dans la vallée moyenne de la Garonne, soit les régions où traditionnellement ce parti récolte ses meilleurs scores, ce qui est logique car sa progression a été plus rapide dans ces mêmes régions entre 2022 et 2024. Autre particularité de la géographie politique des éventuels résultats, l’extraordinaire contraste entre les grandes agglomérations votant à gauche et les circonscriptions rurales, acquises à l’extrême droite. Au lieu de se focaliser sur le changement de sexe, sur la Palestine, sur l’immigration, on gagnerait à se pencher sur ce contraste, à tenter de le comprendre pour le réduire. Pour finir, insistons encore sur le fait qu’il s’agit de prospective et non de prévisions : les deux cartes ne valent que par les hypothèses qui viennent d’être détaillées, et c’est la raison pour laquelle on les a exposées. 

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