– « Mes amis. – Vous permettez que je vous appelle mes amis ? Je ne peux plus vous appeler camarades, ça n’a plus de sens, enfin. – Disons mes amis… Puisqu’il n’y a plus grand-chose à perdre, je vais vous dire la vérité. Pour ça, il n’est jamais trop tard. 

Mes amis, le pouvoir corrompt. C’est ainsi. On est élu à gauche, et puis on glisse. Quand on est élu à droite, on ne peut pas glisser. C’est injuste, mais c’est la loi des élections. À gauche, on commence sa carrière sur les barricades, et on finit au Sénat. Est-on encore de gauche ? Le cœur change-t-il de place en vieillissant ? Non, mais il bat moins fort. Et moins vite. Et puis il s’arrête de battre.

Avant, quand la droite se plantait, c’était parce que la France n’aime pas être gouvernée ; c’est un pays anarchiste qui hait la compétence. La droite ne pouvait pas se planter. Et quand la gauche se plantait, c’était parce qu’elle ne savait pas gouverner, c’était faute de compétence. La gauche ne pouvait pas ne pas se planter. Depuis 1983, les choses ont changé. Si la gauche essaye de gouverner, on lui reproche d’être de droite. Et si elle ne gouverne pas, on lui reproche d’être de gauche.

Si j’écoute tout le monde pour faire la synthèse, on me reproche d’être mou et consensuel, comme si j’étais encore à la tête du PS. Si je n’écoute que moi, et prends seul une décision, je deviens un autocrate, un de Gaulle à la petite ­semaine. Donc si je me plante, c’est la preuve que j’étais bien de gauche. Si je réussis, c’est la preuve qu’au fond j’étais de droite. Dans tous les cas, je ne peux pas réussir à gauche. Au mieux je peux essayer d’être un bon président de droite. 

Mes amis, on dit souvent que la gauche n’est pas faite pour gouverner. Eh bien, je revendique pour la gauche le privilège de gouverner aussi mal que la droite ! Je ne sais plus quel féministe a dit : la femme sera l’égale de l’homme quand à la place d’un homme compétent, on nommera une femme incompétente. Je n’ai pas encore pu aller jusque-là, hélas ! Mais l’analogie est bonne : la gauche sera l’égale de la droite le jour où elle pourra mal gouverner sans qu’on attribue son échec à son essence. Ce n’est pas parce qu’on est de gauche qu’on gouverne mal, c’est parce qu’on est mauvais. La gauche ne doit plus être une excuse à la médiocrité.

J’aurais aimé être une sorte de ­Pompidou de gauche, vous voyez, le type qui a fait Normale mais pas trop Sup : compétent, rond, avenant, la clope tranquille. ­Pompidou, c’est Mitterrand qui aurait réussi à rester de droite sans avoir besoin de le cacher, tout en étant de gauche sans avoir besoin de le prouver. Mitterrand n’a pas commencé à gauche. Mais on m’a dit qu’à la fin, il l’était. En tout cas, pendant les cohabitations, c’est sûr. Peut-être pour exaspérer son gouvernement. Ou par ­scrupule tardif. 

Il ne l’a jamais dit comme ça, mais je crois comme Mitterrand qu’on ne peut être un président de gauche qu’à la tête d’un gouvernement de droite. Là je m’entraîne avec Valls, mais l’épreuve du feu ce sera avec Juppé ou Fillon : après la raclée des régionales, je dissous, j’enchaîne sur une raclée aux législatives, et hop ! À moi la cohabitation ! Là je pourrai exprimer mes vrais talents rhétoriques. La gauche, c’est avant tout une parole. C’est important, les mots. Le vrai pouvoir présidentiel, c’est une parole détachée des contingences du gouvernement. Bon, je ne parle pas aussi bien que Mitterrand, je n’ai pas tété Péguy et Chateaubriand au berceau, je n’ai jamais rêvé de grandeur historique, mais j’offrirai au pays de Molière et de La Fontaine ce qu’il mérite : la gauche tranquille, qui a renoncé à gouverner, toujours heureuse de commenter. Des farces et des fables. 

Vous avez vu Mort à Venise ? Dans une Venise menacée par la peste, un écrivain vieillissant, en pleine crise d’inspiration, tombe amoureux d’un enfant, et se teint les cheveux en noir sur les conseils d’un coiffeur complaisant. Il finit par mourir sur une chaise longue, en contemplant l’inaccessible objet de son désir. Si près. Si loin. À portée de main. “L’aura, disait Walter Benjamin, c’est l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il.” C’est pas une citation de gauche, ça, hein ? Pas de droite non plus. C’est juste la vérité. La peste approche. Elle est déjà là. Elle n’a pas de nom. Il n’y a plus rien à faire, qu’à tomber amoureux, et à se teindre les cheveux, en attendant la fin sur une chaise longue. La fin, c’est 2017 : on se fait peur avec Marine au deuxième tour, et je nous refais Chirac en 2002, hop ! Front républicain. Réélu à 81 %. Vous me prenez pour un benêt, mais derrière le front républicain, il y a un cerveau, et il s’appelle Reviens ! D’ici là, je vous le promets, mes chers amis, dès les premiers jours de la cohabitation en 2016, je nous fais de beaux discours de gauche. On fait comme ça ? Vive la République. Vive la France. »

– Nom de Dieu, c’est quoi ce torchon ? François l’a lu ?

– Je l’ai trouvé dans sa poubelle.

– Qui a écrit ce discours ? Vire-moi ce con.

– C’est que… 

– Quoi ?

– On dirait son écriture…  

@opourriol

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