Promeneur de Paris et de sa banlieue, le poète Jacques Réda est guidé vers un supermarché. Et c’est à Dante qu’il songe devant tous ses dangers. Bientôt spongieux au désir de consommer, il lui faut acheter – puisque tout est à vendre ! Prudent, il se contente de quelques crayons. « L’un d’eux écrivit ce poème. » 

Vers le milieu du chemin de la vie
Où j’ai marché trop longtemps à rebours
À cause d’une ardeur inassouvie,
Comme j’allais par de tristes faubourgs,
Une ombre que j’avais suivie
Me conduisit auprès d’un temple bas
Mais éclairé d’une vive lumière. 
« Entre, dit l’ombre, ici tous les combats
Qui déchiraient ton âme prisonnière
S’apaiseront : à chacun de tes pas,
Une grâce particulière
Va se répandre en palpables trésors. » […]
En bas, une légère barricade
Puis une salle immense renfermant,
Sur des rayons en enfilade,
Un brasier froid de verres et de métaux,
Une profusion d’objets – cisailles,
Pelles, chaudrons, fourches, pinces, couteaux
Et cent outils faits pour les représailles
Sans fin que les enfers réservent aux 
Damnés. Pourtant des victuailles
Plus loin s’amoncelaient, vrai paradis
Terrestre : tout ce dont par la nature,
De l’ananas au plus humble radis,
Dieu voulut réjouir sa créature.
Et je m’ébahissais, figé, tandis
Que des humains, à l’aventure,
Se promenaient, presque en indifférents
Parmi cette opulente marchandise. […]

Jacques Réda, Lettre sur l’univers et autres discours en vers français
© Éditions Gallimard, 1991

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