« Les gens nous disent souvent : “Je ne sais plus quoi manger. Je ne sais plus quoi acheter !” » Cette constatation un peu désolée d’un responsable du rayon boucherie avec lequel nous nous sommes entretenus n’est pas un cas isolé.

Tiraillés tout à la fois par la pression de l’inflation, le manque de temps, l’aspiration à manger sain, l’envie de soutenir la production locale, la volonté de se faire plaisir malgré tout, les consommateurs semblent un peu perdus au moment de faire leurs courses alimentaires, d’anticiper les repas de la semaine et d’imaginer leur préparation.

Les compétences culinaires développées par certains pendant la période du Covid ont été vite oubliées, cédant la place à d’autres types d’expertises qui modifient peu ou prou les habitudes alimentaires, mais surtout culinaires.

« Préparer un repas prend du temps, demande un effort supplémentaire et fait écho à la tension ressentie au moment de l’achat des ingrédients »

Ainsi, parce qu’il est devenu un outil de gestion du budget alimentaire, le congélateur prend de l’importance dans le process de préparation des repas : « Certains viennent exprès pour voir dans le rayon dates courtes. Ils prennent et puis ils congèlent. » Du congélateur aux plats préparés, il n’y a qu’un pas, de plus en plus souvent franchi. Préparer un repas prend du temps, demande un effort supplémentaire et fait écho à la tension ressentie au moment de l’achat des ingrédients. Le choix d’un plat préparé ou d’une conserve permet d’esquiver ces contraintes : « On vend beaucoup de cordons bleus. Moi aussi, j’en mange, quand je n’ai pas le temps. Eux, c’est leur quotidien. »

Si l’on avance d’un cran dans le processus d’élaboration des repas, le préemballé fait également de plus en plus recette, constatent les responsables des rayons frais. Ce conditionnement « pré-préparé » ou « prêt à congeler » dispose en outre d’un avantage de taille : le prix du produit y est étiqueté. Cela permet de mieux maîtriser son budget qu’avec les produits à la découpe. Il s’adapte d’ailleurs facilement aux nouvelles demandes : « On fait des conditionnements de barquettes plus petits, on fait des plus petites portions. »

Inversement, les produits frais en vrac se font plus rares dans certains paniers : « Des légumes, il y en a beaucoup qui n’en achètent pas. Ils n’ont pas l’habitude. » Leur absence dans le panier est interprétée comme l’un des indicateurs d’une perte de culture alimentaire et culinaire des clients.

Les responsables de rayons s’en désolent et tentent d’aider les clients à retrouver le chemin du mieux, à défaut du plus.

Côté produits, ils notent et encouragent avec plaisir une attention croissante, chez certains, à l’origine des produits présentés, à leur traçabilité, que ce soit pour les fruits et légumes – « On voit que les gens regardent et cherchent à acheter local » – ou pour la viande – « En fait, ils veulent connaître la provenance, ils veulent connaître l’origine » ; « Je leur parle de la qualité des produits que je fais ici au magasin parce que je sais d’où ils viennent. Je connais les éleveurs, je sais comment ils travaillent. »

« Ils cherchent à transmettre un savoir simple, parfois oublié, quitte à répondre à des questions qui les font parfois sourire »

Le mieux n’est pas uniquement dans le produit, il est dans la recette. Côté préparation, ils cherchent à transmettre un savoir simple, parfois oublié, quitte à répondre à des questions qui les font parfois sourire : « Est-ce que les crevettes roses sont cuites ? Est-ce que l’on décortique les crevettes grises ? »

Par petites touches, la confiance revient : « On se remet à cuisiner. Le trad, on va y revenir. » Alors on accompagne, on encourage, on incite. Cela passe par des choses simples : faire comprendre qu’un poisson entier préparé chez soi revient moins cher et sera plus goûteux qu’un filet, conseiller tel morceau de viande plutôt que tel autre, rafraîchir la mémoire culinaire chez certains même : « Ce sont des personnes qui ont déjà fait des pot-au-feu, des bourguignons, mais ils demandent la recette ou la cuisson. »

C’est aussi une façon valorisante d’accompagner les difficultés. Elle permet à ceux qui prodiguent leurs conseils non seulement de se sentir utiles, mais aussi de revenir à l’essentiel de leur métier, aux fondamentaux : « Moi, je n’ai pas fait ce métier-là pour ouvrir des barquettes ! » ; « Les clients sont quand même attachés à consommer local, à avoir des recettes qualitatives. Ils ne sont pas déçus. Personnellement, je suis confiante par rapport à mon métier parce que l’on va continuer à consommer moins mais mieux. » 

 

10 villes, 10 supermarchés

L’étude dont nous publions la synthèse a été réalisée à la demande de Dominique Schelcher, PDG de la coopérative Système U, à l’occasion des 130 ans de l’enseigne de grande distribution. Le cabinet de conseil Georges a longuement interrogé 24 employés de dix magasins Usitués à Arinthod (Jura), Barneville-Carteret (Manche), Bassens et Camblanes-et-Meynac (Gironde), Chemillé-en-Anjou (Maine-et-Loire), Fontenay-le-Comte (Vendée), Hazebrouck (Nord), Marguerittes (Gard), Savigneux (Loire) et Sennecey-lès-Dijon (Côte-d’Or).

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