« Hyper réactifs ». Le mot est revenu partout : les clients, et plus généralement les gens, sont devenus « hyper réactifs ». À tout : à l’actualité, aux buzz, aux offres promotionnelles, mais aussi aux plus petites contrariétés, aux autres, à la météo même…

Cette hyper réactivité se traduit d’au moins deux façons : des comportements d’achat de plus en plus imprévisibles, et une exigence, une intolérance aux imperfections, même minimes, apparemment sans précédent.

Des nouvelles de l’Ukraine à la dernière recette qui « tourne sur Insta », tout peut se répercuter rapidement dans le caddie. Dans la foulée du Covid, les soubresauts de l’actualité internationale réactivent quasi immédiatement la crainte des pénuries. Résultat ? « Des chariots complets de pâtes, de farine, de papier toilette… […] On se dit que si vraiment, demain, il y a une guerre, alors ils dévaliseront le magasin en une journée. »

Si l’inquiétude ou les promotions les plus attractives font stocker, bien d’autres choses peuvent susciter des pics d’achats que les responsables de rayon peinent parfois à comprendre. Pourquoi, tout d’un coup, tant de clients cherchent-ils le même article ? « Cyril Lignac est passé à la télé et nous a fait une super recette ? Eh bien, les gens la reproduisent, et ils ont tous besoin des mêmes ingrédients. » Pourquoi tel produit d’entretien « de grand-mère », dont « on avait dû n’en vendre que deux en un an », est-il soudain si réclamé ? Une influenceuse locale en a chanté les louanges. Pourquoi le rayon boucherie fait-il l’objet d’une inhabituelle affluence masculine ? Parce que le week-end s’annonce ensoleillé et que les grillades sont au menu : « L’été, quand il faut allumer le barbecue, gérer le pack de bière et la côte de bœuf, là, c’est monsieur qui vient au rayon. »

« On a toujours eu des gentils et des casse-pieds, seulement, là, les casse-pieds deviennent super casse-pieds. »

La météo joue en effet un rôle certain dans la fréquentation des magasins, tout en s’avérant un facteur déterminant de l’humeur des clients : « Dès qu’il pleut, les gens font la tronche. » Or, leur humeur n’est déjà pas, en moyenne, au beau fixe. Et cela se ressent d’autant plus que la moyenne cache une polarisation accrue des attitudes : « On a toujours eu des gentils et des casse-pieds, seulement, là, les casse-pieds deviennent super casse-pieds. » Il semble, en plus, que leur poids dans la population soit à la hausse.

Ce qui est nouveau, à en croire nos interlocuteurs, c’est autant l’ampleur des réactions de certains que la disproportion entre celles-ci et les causes qui les déclenchent. Globalement, « on les sent à cran ».

Dès lors, l’exigence et l’impatience montent, ici comme partout ailleurs dans la société. Et la colère n’est souvent pas très loin : une caisse – pourtant prioritaire – dont l’hôtesse laisse passer « deux femmes enceintes de suite », un produit que l’on ne trouve pas ou que l’on pense ne pas pouvoir trouver, une différence – même de quelques centimes – entre le prix vu en rayon et celui du passage en caisse, une promo qu’on a ratée et, aussitôt, le ton monte. Les clients « râlent » et exigent tout ce qui leur est dû, ou ce qu’ils estiment leur être dû : il faut se défendre, ne rien laisser passer.

En magasin comme ailleurs, la tolérance à l’autre a atteint
un seuil critique

Alors, à la caisse centrale, qui est régulièrement le réceptacle des mécontentements, on a des réclamations « pour 2 centimes » – « C’est pas pour l’argent, c’est pour le principe » –, des plaintes, même, de ceux qui ne trouvent pas normal de ne jamais gagner aux jeux à gratter proposés par l’enseigne.

L’épisode du Covid est souvent mentionné comme un point de bascule. Il aurait rendu les gens à la fois plus méfiants, plus agressifs – « Ils sont moins cools, plus renfermés » – et, sans doute, plus exigeants, moins enclins à l’effort, s’attendant à être servis et à ce que tout vienne à eux : « Ils ne cherchent même plus, on doit le faire pour eux » ; « Certains nous demandent d’aller peser les fruits à leur place… » Les hôtesses de caisse, les responsables de rayons le constatent, « ils ont moins de patience et sont plus exigeants ». Ils l’expliquent, le comprennent : la vie n’est pas simple – la leur comme celle de leurs clients. « Les gens se sont endurcis, je crois. » En magasin comme ailleurs, la tolérance à l’autre a atteint un seuil critique. Et chaque coup de rabot sur le pouvoir d’achat la réduit plus ici qu’ailleurs. 

 

10 villes, 10 supermarchés

L’étude dont nous publions la synthèse a été réalisée à la demande de Dominique Schelcher, PDG de la coopérative Système U, à l’occasion des 130 ans de l’enseigne de grande distribution. Le cabinet de conseil Georges a longuement interrogé 24 employés de dix magasins Usitués à Arinthod (Jura), Barneville-Carteret (Manche), Bassens et Camblanes-et-Meynac (Gironde), Chemillé-en-Anjou (Maine-et-Loire), Fontenay-le-Comte (Vendée), Hazebrouck (Nord), Marguerittes (Gard), Savigneux (Loire) et Sennecey-lès-Dijon (Côte-d’Or).

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