Partout où nous sommes passés, le même constat : à l’exception des « anciens », les clients se rendent en magasin avec une mission à accomplir et entendent ne pas s’en laisser distraire.

Il ne s’agit donc pas (plus, nous disent ceux qui ont le recul de l’expérience) de venir au supermarché « en regardant à droite, à gauche, en prenant le temps et en achetant comme ça ». Ce temps-là, celui d’une consommation détente, semble révolu. La tension est palpable.

On ne se déplace d’ailleurs plus en famille, dès qu’on peut. « Je pense qu’ils évitent d’amener leurs enfants pour ne pas avoir à leur dire non. »

Ceux qui poussent le caddie aujourd’hui sont tendus vers des objectifs clairs : respecter un budget, en avoir le plus possible pour leur argent, ne pas se laisser tenter.

Sur le fond, rien d’étonnant. Partout, on nous décrit des fins de mois qui commencent le 15 et sont de plus en plus difficiles à gérer. Quelques exemples : les paiements par chèque (« parce qu’ils savent que ce n’est pas débité tout de suite »), le cagnottage sur la carte de fidélité, qui devient une carte de micro-épargne (on garde quelques euros « en cas de difficultés ») ou, dont, au contraire, on veut profiter tout de suite (« 2 euros à chaque passage, c’est toujours ça de pris »), le budget à ne surtout pas dépasser, quitte à demander à l’hôtesse de caisse de « s’arrêter à 30 euros », les produits auxquels on renonce et que l’on abandonne un peu n’importe où sur son parcours…

Il faut compter, donc. À l’euro, voire à quelques centimes près. Il faut aussi – surtout – optimiser son budget. En la matière, les Français sont devenus de véritables stratèges.

Le drive, c’est encore la certitude de ne pas « dépasser » et de ne pas se laisser dépasser

La stratégie commence avant l’entrée en magasin. Elle peut même consister à ne pas y entrer. Le drive, ce n’est pas seulement de la praticité, c’est encore la certitude de ne pas « dépasser » et de ne pas se laisser dépasser, de ne vivre ni l’expérience de la tentation, ni celle de la frustration ou du stress au passage en caisse : « Le drive, tac, on voit le montant à droite qui s’affiche et puis, quand on arrive à 100 euros, par exemple : stop. […] On ne va pas flirter à droite, à gauche pour regarder s’il y a autre chose. »

Ensuite, il y a la liste de courses à laquelle on s’efforce de ne pas déroger. Une liste de courses qui, de plus en plus, se décline en liste de magasins : ici pour tel produit à petit prix, là pour tel autre ou pour une promotion.

Les petits prix, c’est la base. Au point que certains paniers ne sont composés que de ça. « La marque », c’est un luxe, et c’est, surtout, une des choses dont on peut manifestement le plus facilement se passer. Et puis, « elles ont abusé, les marques ». Y reviendra-t-on, une fois l’inflation digérée ?

La promotion, c’est la grande affaire : prospectus ou appli, chacun a sa technique pour les repérer, ne pas les rater. Parfois, c’est la seule raison de leur déplacement : « Ils ont vu sur l’application que Super U faisait le rôti de bœuf à 10,90 euros […], donc ils ne viennent que pour ça. » On stocke, également : la lessive, mais aussi le poisson ou la viande – « des caddies de 50, 60 kilos, quand c’est la foire au porc ».

On va jusqu’à adapter son rythme de vie aux rabais

La promotion pousse à privilégier un magasin à un autre, à multiplier les points de vente visités, à modifier sa consommation ou ses habitudes d’achat. On va même jusqu’à y adapter son rythme de vie : on fait ses courses en fonction de ces rabais plutôt qu’en fonction de son propre emploi du temps ; on vient en semaine pour profiter des jours où la « carte rapporte plus de points », ou à l’ouverture du magasin pour ne pas les rater. « À 8 h 20, vous avez une trentaine de personnes avec des caddies, et quand vous levez la grille, ils n’attendent même pas qu’elle soit en haut. »

Les rayons antigaspi, ceux des « étiquettes jaunes » apposées sur les produits proches de la péremption à date courte, sont devenus un must. Partout, ils sont vides dès le milieu de la matinée. Ils permettent de conserver une part de surprise, d’aubaine, dans une consommation alimentaire de plus en plus contrainte. Économiques et vertueux, ils ont tout bon. « Certains viennent dans le rayon dates courtes exprès pour voir. Ils prennent et puis ils congèlent. Mais c’est une bonne solution, aussi, parce que sinon, après, c’est un produit perdu. »

On jongle, donc, avec une virtuosité indéniable. Pour quel résultat ? « Jusqu’ici, ça tient. » 

 

10 villes, 10 supermarchés

L’étude dont nous publions la synthèse a été réalisée à la demande de Dominique Schelcher, PDG de la coopérative Système U, à l’occasion des 130 ans de l’enseigne de grande distribution. Le cabinet de conseil Georges a longuement interrogé 24 employés de dix magasins Usitués à Arinthod (Jura), Barneville-Carteret (Manche), Bassens et Camblanes-et-Meynac (Gironde), Chemillé-en-Anjou (Maine-et-Loire), Fontenay-le-Comte (Vendée), Hazebrouck (Nord), Marguerittes (Gard), Savigneux (Loire) et Sennecey-lès-Dijon (Côte-d’Or).

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