« Il y aura un avant et un après Covid »
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En quoi l’hôpital se trouve-t-il en première ligne de cette crise ?
L’hôpital et les soignants sont en première ligne, même si maintenant les médecins généralistes sont aussi très impliqués. Le Covid-19 est dans l’immense majorité des cas une affection bénigne qui va guérir au bout d’une dizaine de jours, même si cela s’accompagne d’une immense fatigue. Mais il existe 7 à 8 % de formes sévères qui justifient une hospitalisation avec une pneumopathie. Dans un certain nombre de cas, celle-ci s’aggrave et justifie un passage en réanimation. C’est bien là que se trouve le point clé qui nous fait aboutir à une mortalité globale d’environ 1 à 2 %. On ne sait pas pourquoi certains patients développent une forme sévère et d’autres non. On sait que les formes sévères ne se déclarent pas au début de l’infection mais après six ou sept jours. Au début, les patients vont bien, puis leur situation s’aggrave brutalement.
L’hôpital est en première ligne, dans des zones comme le Grand Est depuis quelques jours, en région Parisienne à présent et bientôt dans d’autres endroits [ces propos ont été tenus le 19 mars]. Les services qui prennent en charge les malades du Covid et surtout les services de réa peuvent être dépassés par le nombre de patients en état critique avec toutes les précautions à prendre. Beaucoup de soignants ont déjà été contaminés. On l’a vu aussi en Chine. Quand ces patients sont en réa, les insuffisances respiratoires graves nécessitent de les mettre sous ventilation artificielle, sur une durée très longue : les hospitalisations peuvent durer de 15 jours à 3 semaines, ce qui accentue l’encombrement des lits. Tout l’enjeu du confinement se situe là. L’objectif est double : éviter que l’épidémie se poursuive de façon massive à court terme pour obtenir un écrêtement de la courbe des formes graves, de façon à ce que le système hospitalier puisse tenir le choc ; ensuite, faire en sorte que les soins soient maintenus pour les autres pathologies à haut niveau. Il ne faudrait pas que la prise en charge des patients atteints de Covid amène à négliger les autres problèmes de santé. Le système doit tenir dans son ensemble.
Qu’est-ce qui aurait dû mieux marcher ?
Il est encore prématuré de tirer des leçons. On peut se demander pourquoi en France, mais aussi en Europe, on n’a pas plus anticipé. Seulement c’était très difficile de le faire ! J’avais moi-même une perception de cette maladie différente mi-février de celle que j’ai maintenant. Ce qui nous a tous alertés de façon massive, c’est d’abord les projections mathématiques très lourdes qui nous donnaient des signaux importants, puis ce qui s’est passé en Italie. À partir de là, il y a eu une prise de conscience aiguë. On pourra refaire l’histoire et se demander pourquoi les médecins, les scientifiques et les autorités de santé n’ont pas réagi plus tôt. Mais la France est en confinement depuis une semaine, ce que nous n’avions jamais connu. Il y a eu d’autres crises face auxquelles nous étions totalement démunis, comme celle du Sida. Mais, même si c’était très lourd, ce n’était pas aussi brutal, car l’épidémie ne touchait pas tout le monde. Cette fois, l’ensemble de la population peut être touché.
L’engorgement du 15 trahit-il un manque de moyens, d’effectifs ?
Je ne suis pas sûr qu’on puisse dire cela car les équipes hospitalières des urgences, des Samu, des services de réanimation, avaient été relativement préservées par rapport aux restrictions hospitalières de ces dernières années. Le nombre de lits en réa et en post-réa avait même augmenté. Aujourd’hui, on assiste à une réponse magnifique des soignants et des corps hospitaliers qui savent parfaitement faire face à la crise. L’inquiétude tient à la possibilité ou non de tenir dans la durée, d’où les mesures de confinement, car on est parti pour que ce soit long. L’autre question porte sur le matériel.
Cela revient beaucoup, la question de la pénurie de masques et de réactifs pour les tests.
Il y a des problèmes de stocks, mais pas seulement. C’est aussi lié à notre situation de grande dépendance par rapport à la Chine où est fabriquée une grande partie du matériel utilisé dans les hôpitaux français. Or, il y a eu un arrêt brutal de la production chinoise. On peut aussi s’interroger sur ce qui nous empêche d’utiliser davantage de tests : la raison, c’est tout simplement que pour l’instant, en France, nous n’en avons pas la capacité, même si l’on va essayer de l’avoir dans les huit à dix jours qui viennent. Une partie des éléments nécessaires pour construire les outils de diagnostic viennent, là encore, de Chine, mais aussi des États-Unis, qui, eux, les conservent pour leur propre usage. C’est le produit fini qui est fabriqué en France. S’agissant des tests, notre capacité est de l’ordre de 7 000 à 8 000 diagnostics par jour sur l’ensemble du territoire. Si on voulait passer à la stratégie consistant à tester, puis à isoler les malades pour les traiter, il faudrait une capacité de tests bien plus importante – de l’ordre de centaines de milliers par jour. Pour le moment, les sociétés françaises ne peuvent pas fabriquer autant de diagnostics.
Pour en revenir au Samu, c’est un acteur essentiel. On s’est trouvé en début de semaine avec des délais d’appel qui atteignaient 1 h 30, à cause de l’afflux lié au Covid qui bloquait le service et empêchait la réception des appels relatifs à d’autres pathologies. Si vous perdez 1 h 30 à essayer de joindre le Samu pour un infarctus du myocarde ou un AVC alors que les décisions thérapeutiques sont à prendre dans la demi-heure, vos chances de survie s’amenuisent gravement.
La réserve sanitaire est-elle suffisante ?
Il y a une réserve. Jusqu’ici, sa mobilisation s’est faite uniquement par l’engagement spontané des médecins et des infirmiers retraités, des étudiants en médecine en fin d’études. Une autre mesure pourrait encore être prise : ce serait de procéder à une réquisition obligatoire, comme l’a décidé l’Italie. S’il le faut, on le fera probablement. Il y a aussi un problème d’organisation. Certaines tâches peuvent être effectuées par des étudiants, des scientifiques ou des universitaires formés pour apporter des réponses téléphoniques. En revanche, d’autres tâches sont très spécifiques. On ne devient pas infirmier de réa ou médecin réanimateur du jour au lendemain, même avec de la bonne volonté. Il y aura un temps critique pour l’accomplissement de ces fonctions spécifiques, et c’est cette tension-là qu’on cherche à éviter. Reste le service de santé des armées, qui peut se déployer très rapidement, avec de grandes capacités. Mais le mettre à contribution, c’est réduire d’autant sa capacité d’intervention si surviennent d’autres besoins, ce qui se produirait en cas d’attentat. On le met à disposition aujourd’hui car, comme l’a dit M. Macron, nous considérons que nous sommes dans une période de guerre virale. On se déplace là où est le front, donc dans un certain nombre de régions critiques.
Abordez-vous sereinement les jours qui viennent ?
Je ne suis pas serein quant aux deux semaines à venir. Le pic de l’épidémie est encore devant nous, à très court terme. On n’a pas atteint le cap le plus difficile, qui arrivera dans les quinze prochains jours.
Pensez-vous que nous ayons adopté la méthode la plus efficace ?
Je dirais plutôt que c’est la moins mauvaise des méthodes. Elle n’est pas parfaite. Elle a des conséquences sociétales et économiques majeures. Médicalement, on me dit parfois : vous n’avez que ça à proposer, mais c’est ce qu’on faisait déjà à Venise il y a trois siècles. Je peux comprendre que nos concitoyens soient étonnés. Mais nous n’avons pas de traitement spécifique contre ce virus, nous n’avons pas de vaccin et nous ne l’aurons pas tout de suite. Le confinement permet de réduire la propagation de l’épidémie en réduisant le nombre de nos contacts, de cinquante à moins de dix, et il faudrait même arriver à moins de cinq par jour. On écrête le nombre de cas graves, qui sera de toute façon important.
Avant cette épidémie de Covid-19, la crise de l’hôpital n’avait-elle pas fait apparaître un manque criant de moyens, et la victoire des gestionnaires sur les soignants ?
Il y avait une vraie crise autour de la place de l’hôpital et du système de santé, avec une vision économique face à ceux qui posaient la question des valeurs de l’hôpital, avec la volonté de placer la santé au cœur de la vie de nos concitoyens. C’était un vrai débat de valeurs. Depuis quelques années, la vision économique prédominait. Je pense qu’à l’hôpital, comme dans d’autres domaines, il y aura un avant et un après Covid. Notre monde est en train de changer totalement. Le système de santé sera considéré comme une priorité majeure et un bien précieux pour l’ensemble de nos concitoyens.
Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO
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