John Davidson Rockefeller fut l’homme le plus riche de son temps, self-made-man philanthrope et destructeur – un objet d’admiration et de haine. Les grands entrepreneurs apportent-ils du nouveau, à la manière des artistes géniaux ou des penseurs iconoclastes ? Ou sont-ils remplaçables ? se demande l’allemand Bertolt Brecht à l’orée des années trente. 

Je n’irai pas jusqu’à prétendre que Rockefeller soit un imbécile 
Mais vous devez bien reconnaître  
Que tout le monde s’intéressait à la Standard Oil. 
Quel homme alors eût-il fallu 
Pour empêcher l’essor de la Standard Oil ! 
Moi j’affirme 
Qu’un homme comme ça n’est pas encore né. 
 
Comment prouver que Rockefeller a fait des fautes 
Puisque l’argent ne cessait de rentrer ? 
– Sachez-le :  
Tous avaient intérêt à ce que l’argent rentre. 
 
– Vos préoccupations à vous sont d’un autre ordre ?
Moi, je serais heureux si je trouvais quelqu’un 
Qui ne soit pas un imbécile
Et de pouvoir le prouver.
 
N’a-t-on pas bien choisi l’homme qui convenait ? 
Il avait le sens de l’argent 
Il a vécu assez longtemps 
Il pouvait faire des bêtises sans  
Empêcher pour autant la Standard d’exister. 
 
On aurait pu avoir la Standard Oil à meilleur compte, dites-vous ? 
Vous pensez qu’un autre homme 
 
L’aurait mise sur pied à moindres frais 
(Du moment que tous s’y intéressaient ?) 
Êtes-vous en tout cas contre les imbéciles ? 
Et la Standard ,vous estimez que cela compte ? 
 
Espérons que vous ne pensez pas 
Que l’imbécile c’est 
L’homme qui réfléchit.

Traduit par Gilbert Badia et Claude Duchet, dans Bertolt Brecht, Poèmes 1 (1918-1929) © L’Arche Éditeur, 1965

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !