Le contexte de sa création ne dit pas la beauté d’une œuvre. Mais, en prenant le point de vue du modèle, Carol Ann Duffy nous rappelle que rien n’est supérieur à la vie, pas même l’art. 

Six heures comme ça pour quelques francs.
Ventre tétons cul dans la lumière de la fenêtre,
il tire de moi la couleur. Un peu plus à droite,
Madame. Et puis essayez de ne pas bouger.
Je serai représentée analytiquement et accrochée
dans les grands musées. Les bourgeois roucouleront
devant cette image d’une putain des bords de l’eau.
                                                [On appelle cela de l’Art.

Peut-être. Il se préoccupe des volumes, de l’espace.
Moi, du prochain repas. Vous devenez maigre,
Madame, ce n’est pas bon. Mes seins tombent
un peu bas, l’atelier est froid. Dans le marc de café
je vois la reine d’Angleterre qui contemple
mes formes. Splendide, murmure-t-elle,
en poursuivant son chemin. Cela me fait rire. Son nom

est Georges. On me dit que c’est un génie.
Il y a des moments où il ne se concentre pas
et se raidit pour capter ma chaleur.
Il me possède sur la toile quand il trempe son pinceau
plusieurs fois dans les couleurs. Petit homme,
tu n’as pas l’argent qu’il faut pour les arts que je vends.
Pauvres tous deux, nous gagnons notre vie comme nous
                                                                                [pouvons.

Je lui demande Pourquoi faites-vous ceci ? Parce que
je suis obligé. Je n’ai pas le choix. Ne parlez pas.
Mon sourire le trouble. Ces artistes
se prennent trop au sérieux. La nuit je me gorge
de vin et je danse dans les bars. Quand le tableau est fini
il me le montre avec fierté, allume une cigarette. Je dis
Douze francs et prends mon châle. Ça ne me ressemble pas.

Traduit de l’anglais par Bernard Brugière
Extrait d’Anthologie bilingue de la poésie anglaise, Pléiade, 2005
© Éditions Gallimard, 2005, pour la traduction française
© Anvil Press Poetry, 1985

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