Quelle est, selon vous, la définition la plus pertinente de l’art ?

Sur ce sujet, je voudrais raconter une petite histoire. En 1573, le grand peintre vénitien Véronèse répond de façon un peu cavalière à une commande religieuse. On lui a demandé un dernier repas du Christ pour le réfectoire d’un couvent. Il l’a interprété en peignant un luxueux banquet : autour de Jésus et des apôtres gravitent des bouffons et des serviteurs versant du vin au milieu d’un somptueux décor marqué par des chapiteaux corinthiens. Véronèse se fait dénoncer anonymement pour l’aspect blasphématoire de la toile et convoquer devant le tribunal de l’Inquisition. Quand les juges lui demandent de se justifier, il répond courageusement : « Nous autres artistes nous accordons des libertés que s’accordent les poètes et les fous. » L’art, dans ce cas, est une affirmation de l’individualité : il permet de dire « je » non pas contre la norme et le groupe, mais malgré eux. Il permet par ailleurs de montrer à la société que l’ordre culturel est susceptible de changer, d’évoluer ou, pourquoi pas, de se renforcer. Il me semble que cette histoire fournit une bonne définition de ce qu’a été la double fonction de l’art depuis la Renaissance en Occident : une affirmation de l’individualité, une émancipation des formes d’expression et de représentation.

Que décida le tribunal pour Véronèse ?

Il fut condamné à changer son titre : sa Cène est devenue Le Repas chez Levi, un épisode biblique moins soumis à une exigence de sacralité. C’était certes une petite censure sémantique mais ce ne fut pas le bûcher non plus, ni pour l’œuvre ni pour son auteur.

Quels changements notables affectent l’art aujourd’hui ?

Un changement immense et récent ! Entre l’effusion révolutionnaire de la seconde partie des années 1960 et le début des années 2010, soit environ cinquante ans, s’est épanouie une culture de la transgression permanente qui a pris mille formes, de Larry Clark à Madonna en passant par Basquiat, Gainsbourg, Lars von Trier ou Maurizio Cattelan... Elle était nourrie de jeunisme, d’allusions sexuelles, d’hédonisme no future, de sarcasme incandescent. Elle était pop, punk, trash, bling… Je ne prétends pas qu’il n’y avait que cela, mais câ€

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