En cent jours, tout ou presque a changé. La vaccination contre le Covid-19 avance au pas de charge. La couverture médiatique du pouvoir se fait moins obsessionnelle. Le cabinet est à l’image de la diversité du pays. L’arrivée à la Maison-Blanche du président Biden, qui se voit comme un « pont » en direction de la nouvelle génération incarnée par Kamala Harris, a apaisé l’Amérique.

S’il se fait discret dans les médias et refuse la polémique, Joe Biden avance pourtant un programme politique retentissant. Chaque projet de loi paraît plus exorbitant que le précédent. Après l’American Rescue Plan de 1 900 milliards de dollars en mars, l’Administration pousse pour un projet d’infrastructures en deux parties, l’American Jobs Plan consacrant près de 2 000 milliards de dollars à la transition énergétique et numérique du pays, et l’American Families Plan injectant des sommes spectaculaires dans l’éducation pour mettre en place des maternelles et des établissements d’enseignement supérieur (community colleges) gratuits.

Dans ces premières actions, on retrouve un grand nombre des priorités portées par la gauche du Parti démocrate ces dernières années : la lutte contre le racisme systémique au sein de la police et de la justice, la hausse de l’impôt sur les sociétés, l’action climatique à tous les échelons du gouvernement, ou encore la définition d’une « politique étrangère pour la classe moyenne ». Même la réforme des infrastructures s’inspire de concepts progressistes, comme celui d’« infrastructure humaine » – porté entre autres par le sénateur socialiste Bernie Sanders – qui, au-delà des ponts et des autoroutes, mise sur les gardes d’enfants, la santé, l’emprunt étudiant.

À gauche, les progressistes continueront d’être exigeants avec l’Administration : déçus de la voir reculer sur l’augmentation du salaire horaire minimum à 15 dollars, ils promettent d’y revenir au plus vite ; fâchés de voir le président réticent à rehausser le nombre de réfugiés que l’Amérique accueille chaque année, ils lui ont forcé la main. Mais, malgré son image d’homme de la réconciliation, Joe Biden sait que le salut ne viendra pas de la droite. Beaucoup des grands projets de loi se heurteront au mur du Congrès, rendu infranchissable par le filibuster (procédure de blocage du vote par la minorité, que seule une majorité de 60 sur 100 sénateurs peut éliminer). Même lors des votes à majorité simple, les sénateurs démocrates centristes, tels que Joe Manchin de Virginie-Occidentale ou Kyrsten Sinema de l’Arizona, jouissent de facto d’un veto législatif. Se lancer dans des réformes sur le contrôle des armes à feu, le droit de vote ou encore la santé est une véritable gageure alors que règne une atmosphère ultrapartisane.

Ainsi les démocrates progressistes, qui s’inquiétaient de reproduire l’erreur de Barack Obama de chercher à tout prix le compromis bipartisan, sont-ils satisfaits de l’approche maximaliste de Biden. Car, paradoxalement, l’ère post-Trump offre des opportunités qui n’existaient pas précédemment : la profondeur de la crise engage à proposer des réformes d’une ampleur inédite, qui rencontrent l’assentiment d’une large majorité d’Américains, sur l’emploi, l’éducation, les infrastructures, et même sur la légalisation du cannabis ; la polarisation extrême au Congrès rend le passage en force bien plus acceptable ; et les batailles internes au parti républicain rendent l’opposition inaudible.

Alors la présidence Biden vit pleinement son moment progressiste. Les démocrates assument enfin leur orientation idéologique. Les accusations d’extrémisme venues d’une droite elle-même radicale ne leur font plus peur. Et le risque de voir ressurgir le trumpisme, dans deux ou quatre ans, ne leur coupe pas les ailes. Pour le moment, il leur impose d’aller plus vite et plus fort. 

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