C’est une litanie sans fin. L’histoire kurde contemporaine consiste en un éternel abandon dans des marchandages entre puissants, où ils finissent par n’être que le jouet de l’ambition des autres. Cette fois, les Kurdes de Syrie se retrouvent abandonnés par ceux-là mêmes – les États-Unis - qui leur avaient promis de les aider à accéder à la liberté. Trump n’est pas le premier, même si, comme à son habitude, il a ajouté la muflerie à la trahison de ceux qu’il appelait il y a peu ses « alliés essentiels », traitant la sale guerre que mène l’armée turque contre ses citoyens kurdes depuis trente-cinq ans de « chamailleries de gamins ».

Comme chaque fois, c’est au moment où l’adversité s’empare de leur destin que l’on se souvient des Kurdes et de leur histoire contrariée. On se souvient du royaume du Kurdistan, formé en 1922 par les Kurdes irakiens autour de la ville de Souleymanieh et écrasé deux ans plus tard par l’occupant britannique. De la république de Mahabad, créée en 1946 le long de la frontière entre la Turquie, l’Iran et l’Irak avec le soutien de l’Armée rouge au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et que Staline lâchera un an plus tard. On se souvient de négociations diverses menées par les Kurdes de tel ou tel État de la région avec leurs gouvernants pour accéder à une forme plus ou moins affirmée d’autonomie nationale. Le succès le plus avancé en ce sens perdure jusqu’à ce jour : depuis 2005 existe au nord de l’Irak une Région autonome kurde, reconnue par la Constitution, et qui est peut-être le seul progrès à avoir résulté de l’invasion américaine de 2003, qui n’a amené par ailleurs à l’Irak et sa région qu’un effroyable chaos.

Ces tentatives d’autogouvernement ne regroupent, chaque fois, qu’une petite minorité du peuple kurde. Car les Kurdes, s’ils forment bien le peuple le plus important du Moyen-Orient à n’avoir jamais vu ses aspirations nationales aboutir, ne sont jamais parvenus à unir leurs forces réparties essentiellement entre quatre pays (Turquie, Syrie, Irak et Iran) en un seul mouvement national transfrontalier. Au-delà de ces divisions, il est pourtant indubitable qu’ils partagent une appartenance nationale signifiante – les plus nationalistes forgent une mythologie qui fait d’eux un peuple à l’histoire trimillénaire, avec les Mèdes pour ancêtres premiers.

En attendant, c’est aujourd’hui en Turquie que ce peuple subit la répression la plus dure. En 1982, le cinéaste kurde de Turquie Yilmaz Güney obtenait la Palme d’or au Festival de Cannes pour Yol, film puissant, à la fois admirable sur le destin kurde et sans concession sur les contraintes intérieures de sa propre société. C’était il y a bientôt quarante ans et pour les Kurdes, en Turquie, rien n’a vraiment changé. 

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