« Les Kurdes n’ont pas d’autre ami que les montagnes. Malheureusement, au Rojava, nous n’avons pas de montagnes. » Jawan Hame se raccroche à l’humour par instinct de survie. Le 16 octobre, sous le feu des forces armées turques, ce chirurgien orthopédiste vient de terminer une amputation dans un petit hôpital de Qamichli, la « capitale » du Nord-Est syrien que les Kurdes appellent « Rojava », l’Ouest. Le médecin, expatrié en Suède depuis vingt-cinq ans, est revenu depuis quelques jours au chevet de son peuple martyrisé. Les chances de survie du blessé sont réduites.

Il est des blessures d’une autre nature. Les rêves de liberté et d’émancipation des Kurdes de Syrie se sont une nouvelle fois fracassés sur la réalité impitoyable de la géopolitique moyen-orientale. Après le retrait des forces de la coalition occidentale, précipité par Donald Trump le 7 octobre, et l’invasion de la région par la Turquie et ses supplétifs djihadistes, sous le parrainage de la Russie, l’étau s’est refermé. « Tristement, l’histoire se répète. Les Kurdes ont résisté, ont combattu les atrocités de l’État islamique, ils ont organisé leur administration sur un territoire en paix. Mais l’État turc ne tolère pas d’entité kurde à sa frontière. C’est une tragédie », note Bakhtiyar Amin, intellectuel kurde et ancien ministre irakien des Droits de l’homme.

Ces « frontières du cœur », comme les a appelées le président turc Recep Tayyip Erdoğan, englobent les provinces du nord de la Syrie, Alep, mais aussi celles de Mossoul et de Kirkuk, en Irak, ainsi que l’actuel Kurdistan irakien. Tous ces territoires sont considérés par les nationalistes comme des terres à reconquérir. « C’est un projet qu’Erdoğan et son régime, en coalition avec les ultranationalistes Loups gris, veulent mettre en place, un projet expansionniste panturc. Cette "ceinture de sécurité" dont on parle est une façon de pratiquer un nettoyage ethnique jusqu’à la frontière irakienne et d’isoler les Kurdes, de rompre la continuité territoriale », pousuit Bakhtiyar Amin. « La politique de déni se poursuit depuis un siècle. »

L’effondrement de l’Empire ottoman à la fin de la Première Guerre mondiale et le découpage de son territoire ont fait des Kurdes le plus grand peuple sans État. Ils sont aujourd’hui 35 à 40 millions, éclatés entre quatre pays (Turquie, Syrie, Irak, Iran), pris en sandwich entre trois nations (arabe, perse, turque). « Nous sommes d’abord victimes de la géographie et de la géopolitique », souligne Bakhtiyar Amin. Les accords Sykes-Picot de 1916 sont, encore aujourd’hui, souvent invoqués comme étant la source de tous les malheurs, ainsi que le traité de Lausanne de 1923, qui annule celui de Sèvres signé trois ans plus tôt et qui prévoyait l’établissement d’un État kurde. Mais la division du territoire naturel des Kurdes était déjà une réalité au XVe siècle et elle n’a ensuite fait que se confirmer. L’histoire du « Kurdistan » remonte au moins au viie ou au VIIIe siècle, estime l’historien Hamit Bozarslan : « Le nom est clairement utilisé dans les chroniques arabes &agrav

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