Quelle douleur
t’a conduit
vers ce triste temps
ces branches emmêlées
cet amour
et le rivage de cette nuit éternelle ?

Quelle douleur a chargé tes épaules
de cette montagne de solitude et de vagues ?

Quelle douleur
t’a fait choisir un territoire
de rocs
de neige et de braises ?

Ne me fais pas écouter cette mélodie
je ne veux pas connaître d’autres stupeurs
je ne veux pas que l’odeur du cimetière
me réduise en fumée

Je ne veux pas vivre une grande errance
sur les sentiers de la nuit et de l’exil

Ensemble nous sommes redevenus un jour des enfants
nous avons couru derrière les papillons et le crépuscule

À l’horizon de l’horizon
nous avons fait rouler les blocs de nuage
à travers les branches
Et dans l’ombre de ce mur
nous regardions l’univers

Lorsque nous sommes revenus chez nous
dans l’obscurité de la brume
les réverbères de la ville t’ont soudain égaré
je t’ai alors cherché dans la fosse de cet univers
qui est trop petit pour moi.

Ne me fais plus écouter cette mélodie
ton amour m’a habitué au désert et à la montagne
Il m’a réduit à une légende
à une pierre, à une poignée de terre
il m’a offert à la foudre et à la pluie
il m’a couvert de silence et de rocs
dans les tunnels et les vallées du néant
il m’a caché.

La littérature kurde est d’abord l’œuvre des conteurs et des bardes. Et des poètes mystiques, tel Mela Djizri. Aujourd’hui, elle s’écrit surtout en exil. Né dans le Kurdistan irakien, Rafik Saber s’adresse à sa patrie comme à l’être aimé. Une passion tragique, faite d’errance et de néant. 

Revue Aires, no 8, Saint-Étienne, 1988

 

 

 

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