Qu’est-ce que parler ?

La parole, finalement, c’est le superpouvoir des humains. Rendez-vous compte : avec quelques petits bruits, un souffle, des sons, vous pouvez évoquer des choses absentes, emmener ceux qui vous écoutent dans une fiction, provoquer chez eux des émotions, des rêves, des désirs, des soumissions, des frayeurs… On pense souvent que la parole n’est qu’un outil pour celui qui parle – « ses pinces, ses antennes et ses lunettes », comme l’écrit Sartre. Cette conception retranche une dimension absolument fondatrice : avec la parole, l’humanité est en jeu. Montaigne dit que « nous ne sommes hommes, et nous ne tenons les uns aux autres que par la parole ». En conséquence, ce qui détériore la parole détériore l’humanité et le lien social.

La parole est-elle toujours porteuse d’humanité ?

Non, elle possède cette caractéristique de l’humain qui est l’ambivalence. À la fois pulsion d’amour et de haine, elle est à double face. Une face lumineuse permet l’amour, les échanges, l’élaboration de projets, la construction d’une société, mais il y a aussi une face sombre qui tend à vouloir insulter, dénoncer, blesser, voire tuer. Très tôt, dans notre histoire, les monothéismes ont encadré le pouvoir de destruction de la mauvaise parole. Le Talmud estime par exemple que « la langue tue » aussi sûrement que la main, et que la parole négative fait trois victimes : le calomniateur, le calomnié et celui qui écoute. La mauvaise langue peut même être tenue pour un péché plus grave que le meurtre, l’idolâtrie, l’inceste et l’adultère.

Et le christianisme ?

Sa spécificité, c’est l’incarnation du divin : le Verbe s’est fait chair. La parole n’est plus seulement une affaire d’audition ; elle s’est matérialisée et possède quelque chose de corporel et même de charnel. Les paroles calomnieuses sont considérées au Moyen Âge comme une forme de possession du Malin.

Et du côté des polythéismes ?

Il y a, dans la civilisation chinoise, une intention différente : l’écrit, la calligraphie prennent le pas sur la parole. Le ciel, constamment changeant, ne parle pas. Le bien et le mal sont considérés comme deu

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