« Exclure quelqu’un de la langue, c’est l’exclure tout court »
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Nos échanges verbaux sont-ils plus violents aujourd’hui qu’avant ?
C’est un constat difficile à établir de façon scientifique. Il faudrait enregistrer tous les échanges, dans tous les contextes, puis les comparer au passé. En revanche, nous pouvons étudier des situations précises. Je travaille par exemple sur les insultes en politique : au XIXe siècle, il pouvait y avoir énormément de véhémence, y compris dans les caricatures. Il y a toujours eu beaucoup de violence verbale, elle était juste moins enregistrée et diffusée qu’aujourd’hui. Autre nouveauté : l’exposition constante à des messages, l’injonction à la réactivité immédiate. Cela nous prive du temps – précieux – de la mise à distance.
Cognitivement, nous avons besoin de mettre à distance notre propre subjectivité pour intégrer ce que les autres disent, surtout si leur point de vue diffère du nôtre. Si nous sommes privés de ce temps de pause, nos réactions deviennent purement émotionnelles, ce qui peut entraîner des malentendus ou de la violence. Lors d’une dispute, on s’énerve et on finit par dire des choses que l’on regrette par la suite. Pour éviter cela, ne pas répondre ou partir peut être la meilleure des attitudes. Le numérique ainsi que certaines chaînes d’information en continu, qui entretiennent en permanence le suspense et l’invective, attisent ces échanges purement émotionnels. Les commentaires sur Internet et le phénomène des trolls en sont la version extrême. D’autant plus que les algorithmes des réseaux sociaux accordent plus de visibilité aux messages violents ou polarisants.
Les échanges par écrit augmentent donc la violence des échanges ?
Les mots en tant que tels ne constituent qu’une infime partie de la communication. L’important, dans l’interaction, réside dans l’énonciation partagée. Quand on est en présence des autres, on perçoit leur état d’esprit : leur langage corporel, l’expression de leur visage… Sans compter la dimension chimique des échanges, qui passe notamment par l’ocytocine, l’hormone de l’attachement. Même au téléphone, le son nous informe sur le contexte de notre interlocuteur : un lieu paisible ou bruyant, un ton de voix calme ou stressé… On va prendre en compte ces éléments pour adapter notre discours et éviter
« Il faut réapprendre à parler l’humain »
Monique Atlan
Roger-Pol Droit
La journaliste Monique Atlan et le philosophe Roger-Pol Droit estiment que nous arrivons aujourd’hui à un tournant anthropologique majeur avec l’avènement d’une parole de plus en plus déconnectée de ce qui fait son fondement, à savoir l’échange.
[Fléchettes]
Robert Solé
Il y a deux manières de se démarquer de la langue de bois qui est si souvent reprochée aux responsables politiques. La première est de hausser le ton, de se montrer agressif, voire outrancier, pour se poser en ennemi du système et porte-parole des sans-voix.
« Exclure quelqu’un de la langue, c’est l’exclure tout court »
Béatrice Fracchiolla
Professeure à l’université de Lorraine, Béatrice Fracchiolla revient ici sur les pratiques langagières et les phénomènes techniques et sociaux qui favorisent cette violence, mais montre aussi comment il est possible, dans une certaine mesure, de la désamorcer.