Lorsque nous écoutons les victimes d’inceste, elles parlent abondamment de leur mère et plus précisément d’une souffrance sur deux niveaux : celle de l’enfance, où l’affection a manqué, et celle de ne pas avoir été entendue et soutenue lorsqu’elles leur révélaient les faits incestueux. Quelques explications à cela se retrouvent dans l’histoire de ces mères. En effet, l’inceste ne se résume pas à l’acte de l’agresseur, il s’inscrit dans une psychopathologie familiale, conjugale, et est la conséquence d’une défaillance dans cet interdit, qui remonte à au moins deux générations. Les parents d’un enfant victime d’inceste furent souvent eux-mêmes confrontés à des parents violents ou incestueux, en tout cas à des parents n’ayant pas investi affectivement le lien avec leur enfant. Pris dans des confusions de places, peinant à se situer dans leur place d’enfant, mal inscrits dans leur filiation et privés d’un amour parental sécurisant, ils se retrouvent à leur tour confrontés, une fois parents, à la difficulté de se situer vis-à-vis de leur enfant.

Dans les familles incestueuses, on constate au niveau conjugal que le lien ne se construit pas sur l’échange amoureux mais sur une dette psychique. Ces femmes pensent avoir une dette envers un homme qui leur a permis de s’extraire de leur milieu familial carencé. Sous l’emprise d’un tel homme, souvent violent et pris dans sa toute-puissance, elles se perçoivent comme incapables de vivre sans lui financièrement et psychiquement. Leur silence face à la réalité incestueuse en est une conséquence directe. Une proportion très importante de mères sont au courant des actes incestueux, et ce plus encore quand il y a viol.

Lorsque l’enfant ose parler, il s’adresse le plus souvent d’abord à sa mère, mais le désaveu de celle-ci est dévastateur. Du fait de son attitude, elle apparaît pour l’enfant comme une complice silencieuse du père. Rares sont les mères qui croient et protègent leur enfant. Il existe différents positionnements : le doute, le déni ou, plus grave encore, la complicité passive voire active, qui ne mène que très rarement à des condamnations.

En amont, dès les premiers liens mère-fille, la mère n’assume pas sa fonction protectrice et, si sa violence s’exprime rarement par des actes, elle transparaît plutôt par une attitude de rejet de l’enfant. La plupart des victimes parlent de ce manque d’affection depuis toujours, de leur détresse de ne pas avoir été aimée et de leur quête de vivre un jour un lien soutenant. L’attache est fragile, nocive et l’enfant craint de la perdre. Il s’accroche à l’espoir d’un changement d’attitude de sa mère et il reste silencieux tant il redoute d’être rejeté par elle.

L’attitude maternelle disqualifie l’enfant, sa place, son être, son être féminin. « L’inceste en creux », tel que le définit Julien Bigras, est celui du vide maternel creusé par ces absences. Cette désertion rend l’enfant vulnérable face à un père incestueux, dans la mesure où il n’a pas pu intérioriser la fonction protectrice.

Lorsque l’enfermement incestueux devient trop dévastateur et que l’illusion d’un amour maternel s’effondre, l’enfant peut retourner la violence contre lui-même ou contre un autre. Il peut aussi tenter la mise en paroles de ce qu’il vit ; c’est là un appel douloureux qu’il importe que nous entendions tous. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !