Ne me parle pas d’amour. J’en ai eu les oreilles rebattues
Et les pleurs affluent quand j’ai vidé un verre ou deux.
Je suis dans tes propos un blessé.
Je suis un otage. Je suis un naufragé.
Mais je suis à Paris avec toi.

Oui je suis furieux de la façon dont j’ai été embobiné
Et j’accepte mal le pétrin dont j’ai dû me sortir.
J’admets que je suis sous le coup d’un échec en amour
Et peu m’importe de savoir quel va être notre cours.
Je suis à Paris avec toi.

Cela t’ennuierait si nous n’allions pas au Louvre,
Si on se foutait de cette foutue Notre-Dame,
Si on laissait tomber les Champs-Élysées
Pour rester ici dans cette miteuse
Vieille chambre d’hôtel
À faire ceci et cela
Pour telle ou telle raison
À apprendre qui tu es,
À apprendre ce que je suis.

Ne me parle pas d’amour. Parlons de Paris,
Ce petit bout de Paris sous nos yeux.
Il y a cette fissure au travers du plafond
Et les murs de l’hôtel se craquèlent
Et je suis à Paris avec toi.

Ne me parle pas d’amour. Parlons de Paris.
Je suis à Paris avec ton moindre geste.
Je suis à Paris avec tes yeux, ta bouche,
Je suis à Paris avec… toute ta zone sud. 
Est-ce que cela te gêne ?
Je suis à Paris avec toi.

Traduit de l’anglais par Bernard Brugière.
Extrait d’Anthologie bilingue de la poésie anglaise, « Bibliothèque de la Pléiade », 2005
© Gallimard, 2005, pour la traduction française

 

Si vous cherchez de la mièvrerie, ne lisez pas de poésie. Les touristes parlent d’amour à Paris. James Fenton, lui, s’amuse du romantisme associé à la ville. En répétant le nom de la capitale française, il donne ses lettres de gloire au désir. Né en 1949, le poète anglais fut longtemps grand reporter. Au Cambodge ou au Vietnam, il a témoigné de l’atrocité des conflits. Mais si le mot consternation revient souvent sous sa plume, l’écrivain ne sombre jamais dans le misérabilisme. Le créateur doit chanter le réel à une juste distance, comme un étranger ou un  « Martien ». « À Paris avec toi » est extrait du recueil Out of Danger (« hors de danger »), publié en 1994. En utilisant la deuxième personne du singulier, James Fenton nous fait entrer dans l’intimité d’une relation. Le lexique de la première strophe est celui des guerres. Quelle ironie ! Martyr de l’amour, le narrateur refuse de se projeter dans l’avenir. À l’insincérité des discours, aux traditionnelles visites de monuments, il préfère le réconfort des corps. Regarder ensemble une fissure au plafond, c’est aussi vivre le moment présent. L’auteur surprend par un vocabulaire populaire, un jeu constant sur les sonorités. Il fait rimer avec humour Champs-Élysées et sleazy (miteuse). Il utilise « Je suis à Paris avec toi » comme un refrain. Professeur à Oxford de 1994 à 1999, James Fenton a souligné l’importance de l’oralité en poésie. Ses poèmes ont souvent été chantés. Quelle drôle de balade dans notre pays, quel iconoclaste hommage à Paris, que ce surprenant carpe diem ! 

 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !