Parmi les traits de caractère des Français se trouvent la curiosité, la passion pour les nouveautés, l’amour du changement et des transformations en toutes choses, particulièrement dans la manière de s’habiller. L’habit n’est jamais stable chez eux. Aucune de leurs modes n’a pu se maintenir jusqu’à ce jour. Cela ne veut pas dire qu’ils changent complè­tement leur costume, mais ils y apportent des variantes. 

Dans leur caractère, on remarque l’habileté et l’agilité. Tu pourrais voir un personnage respectable courir en pleine rue comme un enfant. On trouve aussi, dans leur tempérament, la frivolité et l’humeur versatile : un Français passe rapidement de la joie à la tristesse, du sérieux au plaisant, et inversement. Il est susceptible de commettre en un seul jour plusieurs actions contradictoires. Ceci, il est vrai, dans les choses négligeables, mais il n’en est pas de même quand il s’agit d’affaires importantes : leurs opinions politiques ne changent pas ; chacun demeure fidèle à sa doctrine, à son point de vue et les soutient sa vie durant.

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Une de leurs qualités est leur amitié pour les étrangers et la tendance qu’ils ont à rechercher leur société, surtout si l’étranger est paré d’habits précieux. Ils sont mus en cela par la curiosité et le désir de s’informer sur les conditions des autres contrées et les mœurs de leurs peuples […]. Ils ne sont philanthropes qu’en paroles et en actions, jamais par leur argent. Ils ne refusent certes pas de prêter à leurs amis – on ne saurait dire donner – ce que ceux-ci demandent ; mais il faut qu’ils aient préalablement l’assurance d’obtenir une récompense. Au fond, ils sont plus avares que généreux. 

C’est la vanité et l’amour de la gloire qui sont enracinés dans leur nature, non l’orgueil et l’envie. Ils ont d’après leur propre et flatteuse expression, le cœur plus pur que celui des agneaux lorsqu’on les égorge, bien qu’ils soient, une fois en colère, plus féroces que les tigres. Si l’un d’eux se met en colère, il préfère parfois la mort à la vie. Il est bien rare que s’écoule une courte période sans qu’une personne ne se tue, cédant particulièrement au mal d’amour ou au tourment de pauvreté.

Au nombre de leurs qualités prépondérantes, se trouvent la fidélité aux promesses, l’absence de trahison ; rares sont les cas de félonie.

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Ils sont cependant hommes à dépenser quantité d’argent dans les plaisirs, pour assouvir des appétits diaboliques, se distraire et s’amuser. Ils se montrent en cela extrêmement prodigues.

D’autre part, les hommes dans ce pays sont esclaves des femmes. Ils se placent sous leur commandement, qu’elles soient jolies ou non. Quelqu’un a dit que chez les sauvages, les femmes sont destinées à être égorgées, que chez les Orientaux, elles sont considérées comme le mobilier, et que chez les Européens, elles sont traitées en enfants gâtés. 

Les Français ne conçoivent aucun soupçon à l’endroit de leurs femmes, bien qu’elles fautent souvent et les bernent. S’il arrive que tel d’entre eux – notable de surcroît – soit convaincu de l’inconduite de sa femme, il l’abandonne complètement, pour toute la vie. Pareille séparation a lieu à la suite d’un procès légal. Pendant la plaidoirie, le mari prouve en public sa prétention, au moyen de solides arguments qui souillent leur descendance par le scandale, sans toutefois prononcer un serment d’anathème et sans porter préjudice aux enfants. Cela se produit aussi bien dans les grandes familles que dans les petites. Tout le monde assiste à la séance de plaidoirie, mais les autres n’en tirent pas la leçon. Ils devraient pourtant se garder des femmes, comme dit le poète : « Ne sois que méfiance envers les femmes, si tu comptes parmi les hommes avertis. Rien n’a jamais précipité l’homme à sa perte que sa confiance. » […]

Un de leurs défauts est le peu de chasteté, fréquent chez leurs femmes, comme on l’a dit précédemment, et l’absence de jalousie chez les hommes, bien différents des musulmans dès qu’il s’agit de compagnie, de cajolerie ou de fréquentation. Un libertin français disait : «  Ne te méprends pas sur le refus d’une femme à qui tu as demandé de satisfaire ton désir ; n’en conclus pas qu’elle est honnête, mais qu’elle a beaucoup d’expérience. » Comment pourrait-il en être autrement alors que l’adultère pour eux fait partie des défauts et des vices, non des premiers péchés, surtout en ce qui concerne le célibataire ?

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Nous avons dit plus haut que les Français se rangent parmi les gens qui n’admettent que la seule raison pour juger si une chose est bonne ou mauvaise. J’ajoute ici qu’ils nient le surnaturel, croient au fond qu’il est impossible que les choses ne suivent immanquablement un cours naturel. Ils estiment que les religions sont apparues simplement pour indiquer à l’homme de faire le bien et d’éviter son contraire, que la civilisation des pays, l’effort et le progrès des hommes, dans les usages et dans la finesse, remplissent le rôle des religions, et que dans les royaumes civilisés, les affaires poli­tiques assument la fonction des lois religieuses. Ils affirment, et ceci est au nombre de leurs croyances détestables, que leurs sages et leurs physiciens ont une intelligence plus vaste et plus pénétrante que les prophètes. Ils ont beaucoup de doctrines abominables, comme celle de renier, pour certains d’entre eux, la prédétermination et le décret divin, bien qu’il soit raisonnable de croire en la prédétermination et d’agir cependant avec résolution en toutes circonstances. L’homme ne devrait pas rejeter les responsabilités sur le destin ni l’incriminer avant de choir. 

Extrait de L’Or de Paris, traduit de l’arabe par Anouar Louca, Actes Sud, « Sindbad », 1988

 

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