Grève
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Le maquis est rempli. Personne ne se cache. La musique est forte, les serveuses sont plantureuses, elles livrent des « inuits », bières excessivement fraîches, l’air chaud est saturé des fumets de poissons et poulets qui cuisent à la braise. C’est dans les maquis que Yopougon a bâti sa réputation de fêtarde dans la déjà très festive Abidjan. En cet été de Coupe du monde de foot, les débuts de soirée sont occupés par les matchs projetés sur une toile tendue entre le congélateur à bières et le fourneau de la vendeuse de poisson. Ce 22 juin 2010, après la « grève du bus » des bleus à Knysna, en Afrique du Sud, les joueurs en bleu sont français, les jaunes sud-africains. Le match a commencé. Une discussion secoue le maquis. On invective, on crie. Les débats houleux entre inconnus sur la place publique sont fréquents. Ils donnent le pouls de la pensée populaire. Je vais essayer de vous retranscrire le fil débridé de celui-ci :
– Ils sont incroyables ces Français-là ! Faire grève au foot. Il n’y a qu’eux seuls qui pouvaient inventer un truc pareil. La grève est inscrite dans leur ADN. (Albert, professeur d’histoire dans le lycée à cinquante mètres du maquis.)
– La grève chez eux, c’est comme la saison des pluies chez nous, ça occupe la moitié de l’année. (Solange alias Solo, la vendeuse de poulet à la braise.)
– Walaye, je ne sais pas comment font les immigrés pour gagner leur vie là-bas. (Aboubakar, commerçant.)
– Qu’est-ce que vous avez contre la grève ? Vous ne savez pas que c’est ça qui fait avancer les conditions sociales de travail ? (Claudus, étudiant en criminologie.)
– C’est normal que tu dises ça Claudus, ça fait plus de dix ans que vous êtes en grève dans votre université pourrie. Tu as mis six ans pour arriver en licence parce qu’à cause de vos « grèves à la française », ça prend deux années civiles pour avancer d’une année scolaire. Avancées sociales de mes fesses, oui. (Solange.)
– C’est parce que notre université est pourrie qu’on fait la « grève à la française », pas le contraire. Tes enfants béniront mes années de grèves. (Claudus.)
– C’est un pays d’enfants gâtés ! (Inconnue 1.)
– Pire, un pays d’enfants gâteurs. Ils veulent foutre en l’air tout ce qu’ils ont la chance d’avoir. (Inconnue 2.)
– Envoyez-nous leurs patrons, qu’ils nous payent leurs salaires, on va faire d’eux les patrons les plus heureux du monde. (Cisco, chômeur.)
– Tu penses ça aujourd’hui, mais...
Une clameur interrompt Claudus. L’Afrique du Sud vient d’ouvrir le score…
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