8 février 1959. En Afrique, c’est le temps des indépendances. Le Cameroun n’a pas encore fêté officiellement la sienne, prévue pour l’année suivante, mais il se prépare à célébrer son premier héros national. Pour l’occasion, le Premier ministre camerounais Ahmadou Ahidjo partage la tribune avec le gouverneur colonial encore en poste ; les deux s’apprêtent à dévoiler une belle statue au centre de Yaoundé, à quelques pas de l’hôpital et de l’institut Pasteur du Cameroun, inauguré un mois auparavant. Sur le monument, le visage bonhomme d’Eugène Jamot (1879-1937), médecin militaire français et pastorien qui a organisé dans le pays une vaste campagne de lutte contre la maladie du sommeil dans les années 1920 ; gravé au dos de la statue, un slogan étrange : « Je réveillerai la race noire. »

Les héritiers de Pasteur essaimèrent sur les cinq continents

Alors que l’heure n’est pas vraiment à la fête (l’armée française est lancée depuis 1955 dans une répression sanglante des militants nationalistes camerounais), le choix de l’État camerounais de consacrer le premier hommage officiel de son histoire à un médecin français connu pour son approche expéditive de la santé publique et de le célébrer comme un symbole de l’« amitié franco-camerounaise » peut sembler cynique ou baroque. C’est pourtant le condensé parfait de l’histoire des pastoriens, comme on désigne les héritiers scientifiques de Louis Pasteur qui essaimèrent sur les cinq continents et créèrent plus de vingt instituts Pasteur.

C’est une histoire ambiguë, profondément liée au colonialisme français sans pour autant s’y réduire, entre chauvinisme, universalisme et hybridation avec les cultures locales. Soixante ans et bien des épidémies plus tard, le « réseau pasteurien » se porte bien ; à Yaoundé la statue et l’institut sont toujours debout en 2022.

La carte de l’implantation de ces établissements dans le monde porte la marque évidente de l’histoire

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