C’est un rituel bien rodé. Tous les lundis matin, à 9 h 30, au 4e étage d’un bâtiment vitré installé au cœur du 15e arrondissement de Paris, l’unité Virus et immunité de l’Institut Pasteur se retrouve pour sa réunion hebdomadaire. Sous la houlette d’Olivier Schwartz, le directeur de l’unité, y participe la quinzaine de personnes qui constituent le service : des chercheurs permanents, des étudiants en thèse, d’autres en master, des ingénieurs, des post-doctorants… « Ensemble, nous discutons des résultats de la semaine passée. Puis l’un d’entre nous présente les détails de ses derniers travaux de recherche et nous avons une discussion critique sur le sujet », explique le patron de l’unité, pharmacien et virologiste de formation.

Avant le Covid-19, tout cela se faisait dans la salle de réunion du service. Certains venaient avec leurs tasses à café. Le moment était convivial. On projetait les résultats sur un écran. En raison de la crise, la réunion du 14 février 2022, comme toutes les réunions depuis deux ans, s’est tenue sur la plateforme de visioconférence Teams. Les membres de l’équipe, bien que présents dans les locaux, sont restés devant leurs ordinateurs. Ce lundi de la mi-février, l’un des chercheurs permanents a présenté ses résultats sur les conséquences du Covid sur les personnes immunodéprimées.

La réunion terminée, chacun a coupé sa connexion pour retourner à sa paillasse, cet espace de travail où les manipulateurs mènent leurs expérimentations. Certains sont allés travailler dans la « salle de culture », la pièce dans laquelle sont élevées les cellules nécessaires aux manipulations. C’est là que se trouvent les « étuves », sortes d’armoires humides chauffées à 37 degrés pour reproduire les conditions de vie à l’intérieur du corps humain. Olivier Schwartz, lui, a enchaîné les réunions, les appels téléphoniques et les discussions avec les membres de son équipe.

L’unité Virus et ses quinze membres ne représentent qu’une infime partie des équipes de l’Institut Pasteur. Le centre de recherche compte aujourd’hui quelque 2 800 salariés, dont 1 800 chercheurs répartis en une douzaine de départements. Chaque section est installée dans l’un des bâtiments du site du 15e arrondissement, le berceau historique. Ces immeubles ont été baptisés d’après le nom de personnages illustres de la grande aventure pasteurienne. L’équipe d’Olivier Schwartz occupe le bâtiment André-Lwoff – l’un des dix pasteuriens à avoir obtenu le prix Nobel de médecine au cours du siècle écoulé. Par commodité, tout le monde ici appelle cet immeuble « le Lwoff ».

 

Il faut effectuer un saut dans le passé pour comprendre la genèse de l’institut. Nous sommes en 1888. Louis Pasteur a découvert le vaccin contre la rage trois ans auparavant. Il rêve d’une grande institution de médecine qui serait tout à la fois un centre de recherche, d’enseignement et de soin. L’Académie des sciences le soutient dans son idée et lance une souscription de 50 millions de francs. Les gens donnent massivement : « Ça a été quelque chose de fantastique. Les noms des donateurs paraissaient au Journal officiel », explique Marie-Hélène Marchand, ancienne secrétaire générale de l’institut et autrice d’un livre sur son histoire, publié chez Privat en 2015. Des gendarmes du Jura donnent de leur poche. Le tsar de Russie et l’empereur du Brésil également.

Grâce à l’argent levé, l’Institut Pasteur voit le jour le 14 novembre 1888. L’inauguration est un événement considérable. Le président de la République de l’époque est présent. Les membres de l’Académie des sciences aussi. « La création de l’institut a été l’aboutissement des recherches menées par Louis Pasteur. Il jouissait d’une renommée mondiale à la suite de la découverte du vaccin. C’est cette célébrité qui l’a permise », explique Marie-Hélène Marchand. 

Louis Pasteur insiste pour faire de l’institut une fondation de droit privé. « Il y tenait par-dessus tout. Il connaissait les failles de l’administration : la bureaucratie, le manque de souplesse... Il ne voulait surtout pas de cela », détaille l’ancienne secrétaire générale. Cent trente-quatre ans plus tard, le statut n’a pas changé. Et les financements viennent à parts à peu près égales de subventions publiques, de dons et des revenus industriels générés par les brevets.

 

Quelle est la mission de l’Institut Pasteur, plus d’un siècle après sa création ? La réponse se trouve dans un document, aussi austère qu’essentiel, baptisé « Plan stratégique 2019-2023 ». Les grands axes de recherche de ces dernières années y sont précisés. Schématiquement, on peut en distinguer trois : 1) la résistance aux antimicrobiens ; 2) l’étude des maladies neurodégénératives ; 3) la lutte contre les maladies infectieuses émergentes. « Les antimicrobiens, ce sont les antibiotiques. À partir des années 1980, nous nous sommes rendu compte que les bactéries acquéraient une résistance aux antibiotiques. Nous essayons aujourd’hui de décrypter ces mécanismes de résistance », détaille Christophe d’Enfert, le directeur général adjoint scientifique de l’institut. Les maladies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer...) font l’objet de recherches depuis les années 1960. Enfin, le dernier axe, qui concerne « les maladies infectieuses émergentes », représente le cœur de métier de l’institut, la raison de sa création en 1888. Ce champ de recherche reste terriblement d’actualité. L’épidémie mondiale de Covid-19 est venue le rappeler. Et c’est parce que l’Institut Pasteur est à la pointe en la matière que l’abandon de son projet de vaccin, en janvier 2021, a été un moment difficile.

Petit retour en arrière. En 2020, l’épidémie se répand et les laboratoires du monde entier se lancent dans la course au vaccin. À l’Institut Pasteur, on se met à travailler à partir du virus de la rougeole en partenariat avec le groupe Merck. « Les premiers tests sur les animaux étaient bons, mais lorsque nous sommes passés aux essais sur l’homme les résultats n’ont pas été suffisants », explique Christophe d’Enfert. Le 25 janvier 2021, l’institut annonce que son projet de vaccin (on parle de « candidat-vaccin ») est arrêté. En France, c’est l’émotion. Le manque de financement est pointé du doigt. Un an plus tard, en février 2022, un rapport de la Cour des comptes est venu confirmer ce que beaucoup dénonçaient : faute de moyens financiers, la recherche médicale française est à la peine.

À l’Institut Pasteur, Christophe d’Enfert observe : « Le rapport souligne un certain nombre de faiblesses de la recherche française qui sont justes. Effectivement, depuis dix ou quinze ans, il y a un manque de moyens financiers et insuffisamment de coordination en matière de biologie santé. » Pour autant, il ne pense pas que cela ait joué dans l’échec du candidat-vaccin en janvier 2021 : « Nous n’avons pas manqué de moyens sur ce projet-là. Nous avions les financements nécessaires. Mais il faut admettre qu’il y a une part d’incertitude dans la recherche. »

L’institut n’a pas cessé ses travaux sur le Covid-19. « Nous restons très actifs pour tout ce qui concerne la recherche fondamentale », explique Olivier Schwartz, le patron de l’unité Virus et immunité. Ses équipes travaillent, entre autres, sur la protéine Spike, qui est à la surface du virus du Covid-19 et qui lui permet d’entrer dans nos cellules. À l’aide de microscopes ultrasophistiqués, les chercheurs font des tests pour observer l’évolution du virus dans une cellule. « Il se passe huit à dix heures entre le moment où le virus pénètre une cellule et le moment où il en ressort. On scrute tout cela en temps réel. » Les équipes étudient aussi l’effet cytopathique du Sars-CoV2, c’est-à-dire la façon dont il passe d’une cellule à une autre. Elles s’attellent également à dresser son arbre généalogique.

L’idée d’un vaccin n’a pas été abandonnée. « Nous sommes en train de travailler à un second candidat-vaccin, que nous développons avec la société TheraVectys », précise Christophe d’Enfert. Au lieu d’utiliser le virus de la rougeole, les équipes de l’institut mènent leurs recherches à partir d’un antivirus. Ce vaccin, s’il voit le jour, pourrait être administré par voie nasale. Il aurait alors une double utilité : il protégerait de la maladie et bloquerait sa transmission. Le rêve pasteurien : soigner, guérir. 

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