Dans la notice nécrologique du savant paru en 1895, le journal américain Science écrivait : « Pasteur est considéré comme le père de la bactériologie moderne, mais il faut se rappeler qu’il n’était pas un pionnier dans ces domaines. Il n’y avait guère de problèmes qu’il étudiait qui n’aient été déjà reconnus, et même étudiés plus ou moins par ses prédécesseurs. » Il précisait certes pertinemment : « D’autres ont découvert des faits, Pasteur a déterminé des lois. » Reste que Pasteur lui-même n’a pas toujours rendu justice à ceux qui avaient ouvert la voie avant lui.

Des travaux de certains, comme le génial Dr Jean Hameau, il était dans une totale ignorance. Joseph Grancher, celui qui injecta le vaccin de Pasteur contre la rage, le reconnut, évoquant aussi le nom de Girolamo Fracastoro, qu’il qualifia de précurseur instinctif et génial, lui aussi inconnu de Pasteur. D’autres étaient méprisés par Pasteur. À propos d’Antoine Béchamp, qui deux ans avant lui avait compris que la pébrine, la maladie des vers à soie, était due à un agent infectieux, il écrivit : « Ce pauvre M. Béchamp est en ce moment un des plus curieux exemples de l’influence des idées préconçues se transformant peu à peu en idées fixes. Toutes ses affirmations sont tellement de partis pris que je suis à me demander s’il n’a jamais observé plus de dix vers à soie dans sa vie. » C’est le même mépris qu’il réserva au Dr Victor Feltz, qui, dix ans avant lui, avait démontré que la fièvre puerpérale était due à des germes, et qu’il parvint à convaincre que sa patiente était morte de l’anthrax ! D’autres précurseurs, enfin, étaient tout bonnement occultés, comme Henri Toussaint qui, le premier, définit un vaccin contre l’anthrax, ou Pierre-Henri Duboué qui réalisa avant tous que la rage progressait par le système nerveux. Celui-ci, soucieux de « bien faire comprendre toute l’étendue du déni de justice que renferm[ait] la communication de Pasteur » à son égard, dut rappeler que les recherches de ce dernier auraient été impossibles sans la culture préalable du virus rabique, elle-même impossible sans la connaissance des tissus ou organes où réside ce virus qu’il avait lui-même rendue possible.

Malgré le temps qui passe, la légende autour de Louis Pasteur persiste. Une tout autre vérité a pourtant été révélée dès 1995 par l’analyse de ses cahiers de laboratoire par Gerald Geison, dans The Private Science of Louis Pasteur : Joseph Meister n’est pas le premier humain vacciné contre la rage par Pasteur, mais M. Girard, un patient de l’hôpital Necker ; le chien que combattit Jean-Baptiste Jupille n’était pas enragé ; la découverte du principe d’atténuation de la virulence ne fut pas le fruit du hasard bien inspiré au retour de vacances ; la pasteurisation n’a pas été découverte par Pasteur, mais par Nicolas Appert… Le médecin Auguste Lutaud n’avait pas tort d’écrire, déjà en 1887 : « En France, on peut être anarchiste, communiste ou nihiliste, mais pas antipasteurien. Une simple question scientifique est devenue une affaire de patriotisme. »

En définitive, il ne faisait pas bon être sur le chemin de Pasteur, prêt à tout pour construire sa légende. Abattre la statue du commandeur serait certes indécent, vu ses remarquables travaux, mais on pourrait l’inviter à descendre de son piédestal, à abandonner son arrogance et à acquérir un peu d’humilité face aux brillants travaux de ses précurseurs. 

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