De l’oisif antique au vacancier moderne
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L’histoire des vacances s’éclaire par une simple juxtaposition de termes, associables les uns aux autres mais qu’il importe cependant de distinguer : loisirs, vacances, congés, sans oublier tourisme.
Le terme le plus englobant est le premier. Il renvoie à la notion, chère aux élites de l’Antiquité romaine, d’otium, si difficile à définir, si ce n’est par rapport à son contraire, le negotium, ce négoce voué à la vile marchandise. L’otium est, en théorie, l’apanage des classes dominantes, qui prouvent leur supériorité sociale par leur capacité à dégager du temps pour ne rien faire d’autre que ce qu’elles veulent bien faire – y compris de la politique ou de la philosophie.
Les vacances, elles, apparaissent dans la France d’Ancien Régime et tout le monde a oublié leur origine éminemment politique. Il s’agit en effet, d’abord et avant tout, du temps où les personnels de justice – autrement dit le cœur même des institutions – suspendent les sessions publiques des tribunaux pour s’en aller surveiller de plus près leurs propriétés rurales. Le terme s’étend peu à peu à d’autres institutions centralisées – on trouve même déjà à l’époque de Louis XIII la mention des « vacances scolaires »…
Quant au congé, il appartient, lui, au domaine de l’économie : il intervient comme une interruption dans le rapport d’un subordonné à son supérieur et s’étend du congé provisoire au congé définitif. La notion de « congé payé » est donc en soi problématique. En 1936, la grande nouveauté ne tiendra cependant pas dans l’instauration du « congé annuel continu payé d’une durée minimum de quinze jours », déjà monnaie courante dans le secteur public, mais à sa généralisation à tout le secteur privé et, surtout, à la facilité de son obtention, dès un an de travail dans l’entreprise ou l’administration considérées.
Les conditions dans lesquelles apparaît, dans l’Angleterre industrieuse et libérale du XVIIIe siècle, la notion de « tourisme », forme moderne et laïque du pèlerinage (à Rome Michel-Ange remplace saint Pierre), permettent de mieux comprendre que les vacances participent de la fondation de ce « monde moderne » dans lequel nous vivons encore. Économiquement, elles manifestent l’installation d’un nouvel otium, offert à de nouvelles élites, puis à des catégories sociales de plus en plus populaires désormais liées au monde urbain. Politiquement, l’accession au pouvoir d’État de partis porteurs d’un projet démocratique fait de la question de l’attribution officielle d’un temps de repos et de l’« organisation des loisirs » (autre formule scandaleuse proposée par Léon Blum en 1936) un enjeu désormais remarquable, où la droite finit par rejoindre la gauche : en France, si ce sont deux gouvernements dirigés par des socialistes (Guy Mollet, 1956, et Pierre Mauroy, 1982) qui accordent la troisième et la cinquième semaine de congés payés, c’est celui de Georges Pompidou (1969) qui établit la quatrième. Culturellement, enfin, c’est au progrès, insensible mais réel, d’une conception hédoniste des droits de l’homme, descendue des élites vers les « masses », qu’on doit un tel investissement symbolique.
En témoigne, par exemple, l’émergence dans le domaine du sport – autre invention anglaise de la modernité – de ce que j’appellerai les sports d’environnement qui sont, au fond, des réappropriations ludiques de pratiques utilitaires de l’ancien régime social : randonnée, cyclotourisme, équitation, plaisance... En témoigne, plus largement encore, la prise de conscience des enjeux de la mise en valeur d’un « patrimoine » dont les statistiques du ministère de la Culture rappellent qu’il est aujourd’hui, paradoxalement, l’une des pratiques culturelles les plus populaires. Il n’est pas jusqu’à notre rapport au corps qui n’ait changé sous l’effet des vacances : l’une des grandes révolutions culturelles du XXe siècle, l’invention du bronzage, qui ne se situe pas par hasard en France et dans l’entre-deux-guerres, est étroitement liée à l’exposition sportive, balnéaire et montagnarde aux rayons du soleil. Les vacances ne sont donc pas seulement un « phénomène de société » ; elles en sont l’un des principaux moteurs.
« Avec les vacances, le monde du travail s’est érotisé »
Jean Viard
Il y a quatre-vingts ans, en mai 1936, le Front populaire votait la loi généralisant les congés payés. Qu’a-t-elle changé pour les Français ?
[Dépaysement]
Robert Solé
Tu ne devineras jamais d’où je t’écris, Cathy. Je t’écris de ma cabine, sur le plus grand paquebot du monde ! Eh oui, on a un…
Temps libre, temps vacant ?
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Notre pensée du temps et de sa répartition oppose travail et congés. Cette dichotomie a d’abord déterminé l’idée d’un temps libre consacré à l’éducation, aux loisirs et au développement humain…