Quant à son temps bien le sut disposer :
Deux parts en fit, dont il souloit passer
L’une à dormir et l’autre à ne rien faire.
Jean de La Fontaine

Quand je n’ai rien à faire, et qu’à peine un nuage
Dans les champs bleus du ciel, flocon de laine, nage,
J’aime à m’écouter vivre, et, libre de soucis,
Loin des chemins poudreux, à demeurer assis
Sur un moelleux tapis de fougère et de mousse,
Au bord des bois touffus où la chaleur s’émousse.
Là, pour tuer le temps, j’observe la fourmi
Qui, pensant au retour de l’hiver ennemi,
Pour son grenier dérobe un grain d’orge à la gerbe,
Le puceron qui grimpe et se pend au brin d’herbe,
La chenille traînant ses anneaux veloutés,
La limace baveuse aux sillons argentés,
Et le frais papillon qui de fleurs en fleurs vole.
Ensuite je regarde, amusement frivole,
La lumière brisant dans chacun de mes cils,
Palissade opposée à ses rayons subtils,
Les sept couleurs du prisme, ou le duvet qui flotte
En l’air, comme sur l’onde un vaisseau sans pilote ;
Et lorsque je suis las je me laisse endormir,
Au murmure de l’eau qu’un caillou fait gémir,
Ou j’écoute chanter près de moi la fauvette,
Et là-haut dans l’azur gazouiller l’alouette.

 Poésies, 1830-1832

 

Comment expliquer que ces alexandrins à la gloire du farniente, datant de 1830, soient de la plume même du futur grand voyageur, fasciné par l’Orient ? Sinon, en comprenant que le poète s’y écoute moins vivre qu’il ne s’ouvre au monde, que celui-ci prenne la forme d’une fourmi, de la lumière ou du murmure de l’eau. Ainsi, le romancier du Capitaine Fracasse, l’auteur d’Émaux et Camées, se transformera en « daguerréotypeur littéraire » sur les routes d’Espagne ou de Constantinople, en sortant de lui-même. S’il n’échappera pas au désenchantement de qui a rêvé vainement de trouver sa « patrie primitive » à l’étranger, il se gardera toujours des circuits balisés de l’admiration. Dans La Chanson de Mignon, le voici même qui regrette que les pieds des nations aient limé les vieux angles romains, avant de se moquer des ravissements de commande « à faire de pitié rire les monuments ». Car, l’exotisme se méfie de « tout ce qui a été vu à mort », selon l’expression de D.H. Lawrence, pour préférer le souci du détail d’apparence plus banale. Un art qui suppose, sans doute, de dénicher l’élément pittoresque qui pourra devenir un nouvel emblème. Qui mieux que La Fontaine dès lors pour introduire ce poème, lui qui sut combiner la science des blasons et l’observation de la nature pour nous apprendre à vivre ? Et à mieux profiter du moment présent. 

 

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