Les partisans d’une liberté d’expression totale font penser au fameux slogan attribué à Mai 68 : « Il est interdit d’interdire. » Comme chacun sait, cette formule de style, qui emploie un mot sous des formes grammaticales différentes dans une même phrase, s’appelle un polyptote. Mais ce que tout le monde ne sait pas, c’est que « Il est interdit d’interdire » ne figure dans aucun recueil des slogans de Mai 68. On l’avait déjà entendu, antérieurement au mouvement étudiant, dans la bouche de Jean Yanne, au micro de RTL, comme boutade humoristique.

Les archives de Mai 68 ne contiennent que des slogans approchants, comme « Défense d’interdire », tagué sur des murs pour détourner l’inscription « Défense d’afficher, loi du 29 juillet 1881 ». Ou – autre polyptote – « Chacun est libre d’être libre ».

On me permettra de rappeler ici à celles et à ceux qui l’auraient oublié que le polyptote ne se confond pas avec l’antanaclase. Cette dernière se sert deux fois du même mot dans une phrase, mais pour lui donner deux sens différents, à la manière de Pascal : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. »

Soyons sérieux. Aucun pays ne peut bannir toute interdiction sans sombrer dans le chaos. Par sa radicalité, le slogan attribué à Mai 68 est irrecevable. Le Conseil constitutionnel a reconnu au législateur le droit de s’opposer à « des actions qui nuisent à la société », du moment que les « atteintes » portées à l’exercice de la liberté d’expression sont « nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ». C’est en somme un permis d’interdire, délivré sous conditions, même si dans certains cas cela nous laisse interdits. 

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