Au soir des élections du 9 juin, Emmanuel Macron aurait pu, pendant encore deux ans et demi, assister à la lente dégradation de son pouvoir. Refusant ce choix, il a pris le risque d’avoir à nommer un représentant du Rassemblement national au poste de Premier ministre. Mais au moins, avec un tel passage à l’acte, qui a surpris tout le monde, il aura eu l’audace de livrer une bataille contre l’horreur que lui inspire l’idée même d’avoir un jour à transmettre le pouvoir à Marine Le Pen sur le perron de l’Élysée. Comment ne pas comprendre qu’il soit hanté par le spectre de l’avènement de ce nouveau fascisme, quatre-vingts ans après le débarquement en Normandie et au moment où de nouveau la guerre sévit en Europe ? 

Certes, on peut continuer à ressasser la litanie infernale d’un Macron narcissique, transgressif, arrogant, détestant le peuple, ce qui est évident. Mais il faut aussi s’interroger sur la haine que suscite ce président hors norme. Venue de l’extrême droite et reprise souvent par l’ultragauche identitaire, cette haine tourne autour des deux signifiants majeurs qui caractérisent la symbolique du pouvoir : l’argent et le sexe.

« avec l’arrivée de l’épidémie de Covid, une véritable fureur se déchaîna contre lui »

Emmanuel Macron a été élu président en mai 2017, alors que le réseautage social, avec son cortège de fake news, envahissait le champ de l’information. Quatre mois après cette élection, le mouvement #MeToo prenait une ampleur inédite à mesure que se révélaient les sévices sexuels subis par les femmes dans toutes les sphères de la société. Enfin, en 2020, avec l’arrivée de l’épidémie de Covid, une véritable fureur se déchaîna contre lui.

En témoigne la publication sur le site conspirationniste Égalité et Réconciliation d’un texte intitulé « Macronovirus », le 15 mars 2020, dans lequel le président était désigné comme le « laquais arrogant » de Big Pharma. Cette thèse fut ensuite reprise, en juillet 2021, par des militants antivax qui défilèrent en arborant des pancartes où étaient rassemblés les noms des « coupables » : Fabius, Attali, Salomon, Soros. À quoi s’ajoutait celui de Macron, ancien employé de la banque Rothschild. 

C’est alors que se répandit la rumeur la plus insolite jamais imaginée dans la sphère complotiste, habitée par la terreur de la disparition des hommes et des femmes au profit d’une horde de transgenres et autres LGBTQ, militants de l’effacement de la différence des sexes.

La rumeur prit corps avec la publication, en octobre 2021, dans la revue Faits et documents, d’une prétendue enquête selon laquelle Brigitte Macron serait une femme transgenre née sous le nom de son frère Jean-Michel Trogneux. S’appuyant sur des photographies truquées, les auteurs de ce texte entendaient démontrer que la Première dame aurait eu recours à de multiples interventions chirurgicales. Elle serait affublée de faux seins et porterait une perruque spécialement conçue pour masquer les cicatrices de son visage. Mais cela ne suffisait pas : elle serait en outre, disait-on, une criminelle pédophile ayant séduit son jeune élève, Emmanuel, alors qu’il était mineur. Cette thèse fut reprise avec gourmandise, le 21 décembre 2021, par Dieudonné M’Bala M’Bala : « Alors donc la France est gouvernée par un pédé marié à une trans. »

« N’ayant bénéficié d’aucune autorité paternelle, il serait donc un inverti, "psychopathe amoral" »

Spécialisée dans la dénonciation des « lobbies », la revue Faits et documents, fondée en 1996 par Yann Moncomble, un proche du collaborationniste Henry Coston, fut ensuite dirigée par Emmanuel Ratier, journaliste à Valeurs actuelles, puis par Alain Soral, Axel Loustau et Frédéric Chatillon, un ancien membre du Groupe union défense (GUD), dont on connaît les liens avec Marine Le Pen et Jordan Bardella, jusqu’à une récente rupture.

Les auteurs de cette « enquête » s’inspiraient des délires de la journaliste Natacha Rey, qui se présentait sur Internet comme la réincarnation d’une Jeanne d’Arc convaincue que les métastases de son cancer étaient liées à une « persécution » macroniste (8 avril 2024). Quant à Amandine Roy, engagée à son côté dans un combat poutiniste contre les « Ukronazis » de Volodymyr Zelensky, elle divulgua la même rumeur auprès de ses 30 000 abonnés, affirmant tenir ses informations d’une puissance installée dans un « au-delà de la conscience ».

Dès le début de son mandat, Emmanuel Macron fut soupçonné de dissimuler son homosexualité. Il aurait, disait-on, épousé sa mère par amour pour sa grand-mère. N’ayant bénéficié d’aucune autorité paternelle, il serait donc un inverti, « psychopathe amoral », selon la déclaration d’un psychiatre italien en avril 2022. Scénario grotesque, validé par plusieurs représentants de la communauté freudienne. Mais comme personne ne parvenait à lui trouver le moindre amant, il fallut bien « prouver » qu’il était sodomite. D’où la rumeur selon laquelle il aurait épousé un homme devenu femme.

On pourrait rire de cette rumeur si elle n’était pas, à ce jour, partagée par des millions d’internautes, notamment aux États-Unis. Plus forte que jamais, elle a été amplifiée par la journaliste Candace Owens, ardente groupie de Donald Trump, militante poutiniste, proche de l’extrême droite française. En 2024, celle-ci a divulgué une vidéo – Brigitte Gate – qui a connu un succès insensé.

À tous ceux qui se laissent séduire aujourd’hui par le Rassemblement national, les uns par haine viscérale de la gauche, les autres par antimacronisme, il est temps de rappeler que, derrière la façade bon chic bon genre d’un parti désormais notabilisé, se dissimule un cloaque dont on ne peut plus ignorer la dangerosité. Tout doit donc être fait pour combattre ce fascisme masqué. 

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