Pour bien comprendre l’effarement de mes compatriotes allemands ce dimanche 9 juin, peu après 21 heures, à la suite de l’annonce par le président Macron de la dissolution du Parlement et de la tenue d’élections législatives anticipées, il faut revenir un petit peu en arrière. Au 26 mai 2024, exactement. À l’invitation du président allemand Frank-Walter Steinmeier, Emmanuel Macron se rend à Berlin – la première visite d’État d’un président français en Allemagne depuis vingt-quatre ans. Il se rend à Dresde, dans l’est du pays, et à Münster, dans l’ouest. Partout, il est accueilli avec un grand enthousiasme, notamment par les jeunes avec qui il prend nombre de selfies. Cette visite, c’est le symbole du rapprochement à l’œuvre entre le président Macron et le chancelier Scholz. Elle a un parfum de retrouvailles, comme une réconciliation après une longue absence, la promesse répétée d’une amitié franco-allemande renforcée. Une impression confirmée quelques jours plus tard, lorsque l’Allemagne est conviée à participer aux célébrations du D-Day, en Normandie. Là, à Omaha Beach, le président Macron rappelle que « nous sommes tous aujourd’hui des enfants du Débarquement ». À cause de tout cela, Macron jouit d’une grande popularité en Allemagne. Beaucoup d’Allemands sont particulièrement sensibles à son discours : ils voient en lui un Européen convaincu, qui propose des réponses, des solutions aux problèmes de l’UE – notamment à travers sa politique de fermeté vis-à-vis de Moscou et son soutien enfin renforcé à l’Ukraine, alors que l’impérialisme russe menace le continent européen. Il est perçu comme un partenaire solide, garant de la coopération des pays et de la stabilité de la région. Une ombre au tableau toutefois : sa propension à diriger tout seul, une certaine forme de « monarchisme », si étrangère à la culture politique allemande, et son caractère imprévisible, son attitude impulsive. 

« Si les Allemands ont toujours un sentiment très positif vis-à-vis de la France, il est désormais teinté d’inquiétude »

C’est malheureusement ce trait qui s’est imposé lorsqu’il a annoncé le 9 juin, avant même la fin du décompte des voix, la dissolution de l’Assemblée nationale et les nouvelles élections, sans prévenir ni son gouvernement ni ses partenaires européens. Pour les Allemands, c’est un choc. Le chantre de la stabilité et de la coopération européenne, qui prend cette décision solitaire, complètement unilatérale, qui rebat radicalement les cartes ? Les conséquences d’un tel pari peuvent ici s’avérer dramatiques. Car, si chaque élection est un risque, dans ce cas précis, avec un score de l’extrême droite aussi élevé, le risque est double : avoir le RN au gouvernement, ou bien un Parlement sans majorité claire, qui fera basculer durablement le pays – et peut-être toute l’Union européenne – dans l’instabilité politique. C’est cela qui est le plus difficile à comprendre pour les Allemands : comment un dirigeant qui incarnait jusque-là un pôle de stabilité et de vision pour l’Europe peut-il brutalement jeter l’éponge et remettre en jeu sa propre politique et sa propre légitimité au nom d’un besoin de clarification ? Une réaction quasi épidermique qui apparaît, aux yeux des Allemands, comme impulsive, dangereuse et en totale contradiction avec sa vocation européenne et la responsabilité qui va avec. 

Fait notable en Allemagne, le parti du chancelier Scholz a obtenu aux élections européennes un score encore plus mauvais que celui du parti présidentiel français : 13,9 % pour le Parti social-démocrate (SPD), 11,9 % pour les Verts et 5,2 % pour les libéraux-démocrates (FDP), ses alliés. Toutefois, Scholz a exclu d’emblée d’organiser des élections législatives anticipées, refusant de donner une réponse nationale à un problème européen. C’était également la position du président Macron avant les élections, mais il ne s’y est pas tenu. Pourquoi cette différence ? Peut-être parce que le chancelier Scholz est un vétéran de la politique, qu’il a déjà connu de nombreuses défaites, et qu’il a compris que tout ne doit pas être entièrement remis en cause dès le premier revers. Que la politique est plus affaire de résilience que d’immédiateté et d’initiatives éclatantes.

Que reste-t-il alors du lustre de Macron en Allemagne ? Je pense qu’il y est encore populaire, mais son image est écornée. Si les Allemands ont toujours un sentiment très positif vis-à-vis de la France, celui-ci est désormais teinté d’inquiétude : le président sait-il ce qu’il fait ? A-t-il bien pris la mesure des conséquences de ses choix pour la France et pour l’Europe ? À la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, il aurait expliqué que, si le pire venait à se produire et qu’il dût gouverner avec un Premier ministre d’extrême droite, il saurait le contrôler. En Allemagne, il y a eu un précédent historique : lorsque le président Hindenburg, sur les conseils du vice-chancelier von Papen, fait entrer au gouvernement Adolf Hitler, le chef d’un parti d’extrême droite qui lui est hostile, il est persuadé de pouvoir le contrôler. « Dans deux mois, nous aurons coincé Hitler dans un coin jusqu’à ce qu’il couine », avait promis von Papen. Bien sûr, comparaison n’est pas raison, et je ne mets en aucun cas Bardella et Hitler sur le même plan. Mais cet exemple illustre bien le danger de croire qu’on peut tout maîtriser… 

 

Conversation avec LOU HÉLIOT

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