Avions-nous oublié que l’Éden commençait au pas de notre porte ? Qu’un simple carré de terre cultivée pouvait nous rendre heureux ? Il y a cinq cents ans, le philosophe Francis Bacon écrivait : « Dieu tout-puissant commença par planter un jardin, et c’est en effet le plus pur des plaisirs humains. » Un peu délaissés au cours des dernières décennies, tout juste bons à accueillir barbecues et trampolines, nos jardins retrouvent des couleurs depuis quelques années, déployant au fil des saisons des tons rouge fraise, violet aubergine ou jaune poivron. Plus de la moitié des Français se sont adonnés au jardinage en 2019, un chiffre encore nourri par les confinements de l’an passé qui ont poussé urbains et ruraux à occuper leur temps libre les mains dans la terre. Et le mouvement ne montre aucun signe d’essoufflement : depuis le début de l’année, les jardineries de l’Hexagone affichent une croissance de 20 à 30 % selon les enseignes, avec une explosion des ventes d’aromates, de plants de tomates, de graines potagères, mais aussi de ruches ou de poussins !

Comment expliquer cette nouvelle passion française ? Dans ce numéro du 1, nous vous proposons de mettre à nu les racines de cet engouement, ancré dans les inquiétudes de l’époque. Pour beaucoup de néo-jardiniers, produire ses propres fruits et légumes marque en effet l’envie de s’approvisionner en produits locaux, estampillés bio, aussi bons pour la santé que pour le climat. Pour d’autres, parfois les mêmes, cela trahit une forme de précarité financière, à l’heure où le prix du panier moyen grimpe aussi vite que le haricot à rames. Sans oublier ceux qui voient dans ces plantations les premiers sillons d’une autonomie nécessaire, en prévision de l’effondrement des chaînes alimentaires…

Cette multiplication des mains vertes signifierait-elle alors que les carottes sont bientôt cuites ? Cela reste à voir. Car le goût du jardinage, notamment au sein des jeunes générations, participe aussi d’un élan positif. Le bien-être associé à cette pratique d’extérieur est documenté depuis longtemps. Ce qu’on redécouvre, c’est le lien social qui en découle, à travers le développement des jardins partagés notamment, ou la meilleure compréhension des phénomènes naturels. Plus qu’un enfermement dans son pré carré, le jardin peut alors symboliser une ouverture sur l’autre et sur le monde. Comme l’explique le jardinier Gilles Clément dans l’entretien qu’il nous a accordé : « Mettre une graine en terre, c’est placer un espoir dans le lendemain. » Par les temps qui courent, hantés par l’angoisse du monde qui vient, un tel optimisme paraît bienvenu pour se refaire la cerise. 

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