Qu’est-ce que la permaculture ?

C’est une pratique agricole ou jardinière qui fonctionne à petite ou grande échelle, et qui, en résumé, est guidée par l’éthique plutôt que par l’économique : prendre soin de la nature et des hommes, et partager équitablement. Les grands traits en ont été posés par le Japonais Masanobu Fukuoka, dans les années 1970, et ce sont deux Australiens, Bill Mollison et David Holmgren, qui l’ont formalisée. En France, dans le milieu du maraîchage bio, on a commencé à en entendre parler dans les années 2000. Mais il s’agissait de quelque chose de marginal : une « agriculture non violente », vous imaginez ?

En quoi diffère-t-elle du jardinage classique ?

Partons d’une idée simple : le cultivateur est une personne qui produit de l’énergie, une énergie sous forme de calories. Doit-il le faire en utilisant plus d’énergie qu’il n’en produit, avec des tracteurs-tondeuses et des pesticides de synthèse ? Comme dit Philippe Desbrosses, l’un des pionniers de l’agriculture biologique en France, il s’agit d’un état de faillite programmée. Ça peut paraître un peu bouddhiste, mais on ne peut pas être heureux si on sait qu’on obtient une production au détriment des autres, au détriment du reste du vivant. Si vraiment je dois tondre un bout de pelouse parce que je veux y installer une table et des chaises, alors le moindre brin d’herbe coupé sera valorisé : un panier ira aux canards, qui adorent, et le reste servira à pailler le potager, pour maintenir l’humidité. C’est un principe de la permaculture : utiliser toutes les énergies.

Autre grande idée : intégrer plutôt que séparer. Grâce au compostage, les déchets deviennent des ressources. Et pour économiser de l’énergie humaine, on va placer le tas de compost pas trop loin de la maison, pour avoir le courage de l’alimenter et de l’entretenir régulièrement. Selon cette même idée de zonage, les plantes aromatiques seront placées près de la cuisine, car on les utilise tous les jours. Autre exemple de réflexion : la façade plein sud de la maison constitue le meilleur endroit pour jardiner. Est-ce qu’on consacre cette énergie solaire à faire pousser des rosiers qu’on ne verra pas de notre fenêtre ou plutôt des tomates cerises qu’on pourra avaler ? On rejoint ici un principe majeur de la permaculture : obtenir une production. Un potager pose deux questions : « Quand est-ce qu’on mange ? » et « Qu’est-ce qu’on mange ? » Le reste, c’est du folklore.

Y a-t-il des « plans » préétablis pour un jardin en permaculture ?

Non, la permaculture consiste à observer l’écosystème et à interagir. On ne va pas copier-coller en plaine un potager aperçu en montagne. Elle diffère aussi de la pratique de la page blanche qui, en jardinage classique, consiste à passer la motobineuse sur le potager en fin de saison, laisser le sol à nu tout l’hiver et repartir de zéro. Le sol nu n’existe pas dans la nature, sauf dans les déserts ! Les concepteurs de la permaculture ont donc remis au goût du jour des pratiques comme le paillage ou les couverts végétaux [des plantes mises en terre entre deux cultures « principales » pour occuper et enrichir le sol]. On mise aussi sur les plantes pérennes, qui se maintiennent d’une année sur l’autre, ou sur les généreuses, qui se resèment toutes seules.

L’éthique de la permaculture se traduit également dans le soin apporté au sol : cultiver c’est détruire, certes, mais ce n’est pas saccager. Plutôt que de retourner le sol, on va l’aérer, par exemple avec la grelinette, une sorte de bêche avec des dents. Elle permet de ramener de l’air, de favoriser la circulation de l’eau, mais sans inverser les couches d’humus. C’est meilleur pour nos reins et pour le sol ! J’aime beaucoup l’étymologie commune des mots « humus », « humain » et « humilité ». Restons humbles : la machine nous donne l’illusion que l’on peut tout, mais ce n’est qu’une illusion. Si vous voyez trop grand la première année, vous allez abandonner l’année suivante. Alors que si vous commencez un potager trop petit, l’année d’après vous l’agrandissez.

La permaculture peut-elle se pratiquer partout, y compris sur un balcon ?

Toutes les échelles sont envisageables pour agir en harmonie avec l’écosystème ! Miser sur la biodiversité est l’une des façons de s’adapter aux contraintes : 80 % de l’alimentation mondiale repose sur sept espèces végétales – le maïs, le blé, le riz… – alors que la nature offre des milliers d’autres ressources !

Prenons le souchet comestible, par exemple, très adapté pour un balcon. De la famille des papyrus, il a un joli port de graminée. Il ne demande pas d’eau et donne des petits tubercules délicieux, de la taille d’une cacahuète, avec la texture de la noix de coco et la saveur de l’amande. On les laisse sécher au soleil une semaine et on obtient une formidable gourmandise apéritive, sans importer des arachides d’Afrique ! De même, plutôt que de cultiver du poivron sur votre balcon, qui donnera au mieux cinq ou six fruits, pourquoi ne pas installer des piments ? Certains, comme le Medusa, sont sublimes d’un point de vue esthétique. Vous faites sécher les fruits en les suspendant dans votre cuisine et quand vous rendez visite à des amis, vous leur apportez une guirlande de piments plutôt qu’un bouquet de fleurs du Kenya !

Selon le même principe, on devrait davantage cultiver la chayotte, alias chouchou ou christophine. Ce légume en forme de poire se cuisine farci ou en gratin, un peu à la façon des courgettes. Au printemps, les feuilles se cuisent comme des épinards, et les tubercules sont délicieux – pensez à une pomme de terre extrêmement fine en saveur. Pour une même plante, vous avez donc trois productions différentes. Voilà un légume que les permaculteurs aiment bien.

La richesse de la biodiversité permet même d’échapper aux maladies : une immense quantité de végétaux ne connaissent aucun insecte ravageur ni maladie sous nos latitudes, il faut en profiter ! La pomme de terre peut souffrir du mildiou, mais pas la patate douce ni la poire de terre ou la capucine tubéreuse. Il ne s’agit pas d’arrêter les pommes de terre pour autant, mais de diversifier. Idem, pour changer des carottes : la bardane comestible pousse très bien et ne craint pas les ravageurs dont souffre la carotte.

Peut-on dire, en résumé, que le permaculteur s’adapte à ce dont il dispose, chez lui ou dans la nature ?

Tout à fait. Si dans un jardin de ville, par exemple, vous constatez que votre milieu est froid est humide – ou que le sol est pollué –, vous pouvez exhausser le sol et le réchauffer en surface en créant ce qu’on appelle un sol en lasagnes. Il s’agit de prendre ce qu’on a sous la main et de s’inspirer d’un sol de forêt pour créer un compostage amélioré : une alternance de couches riches en azote – des déchets verts, du compost de végétaux – et de couches riches en carbone – du carton, du bois fragmenté… On termine par une strate de litière, et les bactéries disposent de tout ce qu’il leur faut pour travailler. Ça fonctionne encore mieux avec des déjections animales – du fumier de poule rapporté de la maison de vos amis à la campagne, par exemple. Mais si vous n’en avez pas, vous faites sans !

En fin de compte, on obtient un sol riche et cultivable immédiatement. Quand j’arrive pour une intervention dans une école, je débarque avec mes poubelles de déchets-ressources le matin et à midi on a un sol en lasagnes avec des végétaux plantés dedans. Ça fonctionne extrêmement bien sur les toits-terrasses, également.

Comme toute technique, elle a ses limites : il faut un apport d’eau régulier et assez important pour que la décomposition se passe bien, et on ne peut pas y cultiver les légumes à racine pivotante, comme les carottes ou les radis. Mais les tubercules adorent ce type de sol, tout comme les légumes-fruits de type tomates ou aubergines, frileux dans les régions froides.

Finalement, la permaculture ne consiste-t-elle pas à imiter la nature ?

J’ai du mal avec le terme « imiter », parce qu’on ne peut pas imiter quelque chose qu’on ne comprend pas, qui nous dépasse et dont on fait nous-mêmes partie. Je dirais plutôt qu’on s’inspire de la nature : une forêt, ça vit des rayons du soleil et de la pluie et ça fournit une biomasse absolument sidérante !

La permaculture permet de revenir au bon sens qu’on a perdu au fil des années. Comme si on avait eu besoin de cette vision urbaine et intellectuelle des concepteurs de la permaculture pour nous dire : « Vous réalisez ce que vous êtes en train de faire ? Vous supprimez les arbres des champs, les animaux, la biodiversité… » Cette vision globale a permis de sortir de pratiques à courte vue.

La permaculture est-elle caricaturée aujourd’hui ?

Oui. Ça peut avoir un aspect positif : son aspect « intello » a conduit plein de gens à renouer avec le jardinage, alors qu’il y a vingt-cinq ou trente ans la pratique du maraîchage passait pour un truc de ploucs. Aujourd’hui, on arrive à faire rêver avec des végétaux ! En revanche, j’ai horreur du cliché selon lequel la permaculture apporte l’abondance au potager. Nous vivons dans une société d’abondance, qui dilapide les ressources de la planète et les vole aux autres peuples. C’est cela qu’on veut ? Non. La permaculture vise la suffisance, pas l’abondance. 

 

Propos recueillis par HÉLÈNE SEINGIER

 

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