« Mes parents font partie de la génération du baby-boom. On les a forcés à jardiner petits et ensuite, ils ne voulaient plus en entendre parler ! Ils ne m’ont donc rien transmis sur le sujet », se souvient Antoine le Potagiste – son surnom sur la plateforme de partage de vidéos YouTube. Quand, il y a neuf ans, cet ingénieur en informatique de 42 ans installé dans la région bordelaise a pourtant décidé de mettre les mains dans la terre, « sur le tard », il a donc dû partir de zéro, pour satisfaire son « envie de concret ». Sur une parcelle de terrain appartenant à ses beaux-parents, il a fait naître son premier potager, grâce aux contenus glanés sur Internet. Il découvre ainsi quantité de techniques de jardinage, comme le paillage des sols. Et se passionne pour ce loisir : « Quand on plante une graine, on récolte le résultat ensuite. On suit tout de bout en bout, contrairement à ce que je vis dans mon quotidien professionnel : dans l’informatique, on est un petit engrenage dans un système beaucoup plus large… On n’a pas la même sensation d’utilité ! »

Aujourd’hui, le potager d’Antoine fait un peu moins de 500 mètres carrés et voit grandir de nombreux légumes – « tout ce qu’il est possible d’avoir ici ». En parallèle, l’ingénieur s’est lancé il y a quatre ans dans la création de vidéos sur son quotidien de jardinier, les diffusant sur la plateforme YouTube avec la volonté de partager à son tour ses découvertes et son savoir-faire : bouture des tomates, taille des aubergines, nano-maraîchage, utilisation des feuilles mortes… Des thématiques très variées, au rythme de son jardin, qui rencontrent un incroyable succès, avec 55 000 abonnés à sa chaîne YouTube, forte de 6 millions de vues depuis son lancement.

Des contenus nombreux, variés et complémentaires

Parmi ses abonnés, Thomas, 38 ans, s’est mis au jardinage pendant le premier confinement, au printemps 2020. Il a alors rapidement découvert les chaînes de vidéos disponibles en ligne. « C’est venu tout seul, se souvient ce père de famille francilien. On avait acheté des graines, et je me suis dit qu’il devait bien y avoir un tuto sur YouTube… » Progressivement, il s’est pris au jeu. « J’avais déjà regardé des tutos vidéo pour faire des travaux, par exemple. Mais c’était très différent : je regardais seulement quand j’avais besoin de faire quelque chose. » Alors que, en ce qui concerne le jardinage, c’est devenu un plaisir quasi quotidien. Il faut dire qu’avec leur format court, ces vidéos sont parfaites lors d’une pause au travail, dans les transports en commun ou durant un temps d’attente. Grâce aux différentes chaînes YouTube, Thomas multiplie les points de vue sur les sujets : des agronomes, des horticulteurs, des passionnés… Autant d’approches différentes mais complémentaires, qu’il applique, ensuite, à sa manière.

Sur le Web des jardiniers, Thomas a fait le choix de se limiter au visionnage de vidéos. « Je sais qu’il existe des forums et des groupes Facebook. C’est intéressant, mais je n’ai pas commencé à m’y impliquer : je pense que je n’aurais pas le temps d’y aller plusieurs fois par jour ! »

Ces formats séduisent peut-être davantage les jardiniers plus confirmés. À 40 ans, Omar se dit « jardinier depuis toujours ». Des connaissances qu’il a acquises auprès de son entourage. Cet habitant d’une petite commune de l’Ariège cultive aujourd’hui un joli potager de 500 mètres carrés. Et utilise beaucoup les réseaux sociaux. Il est actif, notamment, au sein du groupe Facebook « Jardin potager, graines et boutures ». « Même si je connais bien le sujet, j’apprends toujours grâce au groupe : entre autres, sur la diversité des climats en France en parlant avec des personnes d’autres régions, des recettes de cuisine ou encore des variétés de plantes. Je n’avais par exemple jamais cultivé de patates douces, j’ai pu obtenir des informations sur le groupe. Et à l’inverse, j’ai pu apprendre à des personnes comment se lancer dans les topinambours ! » se félicite-t-il.

André Abrahami, le créateur de ce groupe Facebook qui rassemble plus de 76 000 membres et lui-même youtubeur, voit dans cet engouement pour les échanges en ligne une démarche « naturelle » dans le monde des jardiniers amateurs : « Ils sont beaucoup dans le partage, c’est vraiment inscrit dans l’ADN du jardinage : échanger des idées, des conseils, des plants, des graines… » Un constat que partage Stéphanie Chaillot, webmaster du site Jardinier-amateur, qu’elle a créé il y a maintenant une vingtaine d’années, alors qu’elle jardinait « seule dans son coin », et souhaitait partager ses expériences. La Francilienne de 46 ans investit – quasi bénévolement – une journée par semaine pour faire vivre son site : « Il y a aussi la volonté de montrer que le jardinage, ce n’est pas si compliqué ! Il y a toujours des choses à faire, même sur un balcon ou un coin de fenêtre. » En plus d’articles et de fiches pratiques, chaque utilisateur de son site peut tenir un carnet de ce qu’il fait dans son jardin, partagé avec les autres internautes, suivre la météo de sa région et participer aux discussions du forum. Un autre site, Graines de troc, propose quant à lui de mettre en commun les grainothèques, c’est-à-dire les stocks de graines, et de réaliser des échanges entre internautes. Objectif : créer une grande collection commune, découvrir des variétés introuvables et surtout défendre la biodiversité. Plus de 30 000 personnes sont inscrites sur le site, 60 000 sur le groupe Facebook au même nom.

Un lien social virtuel… mais fort

Certains groupes Facebook francophones réunissent plus de 100 000 membres, avec des discussions quotidiennes pour échanger trucs et astuces, mais surtout interrogations. Taches bizarres sur les feuilles d’une plante, renseignements sur la culture « en lasagnes », méthode pour se débarrasser du liseron ou d’autres « mauvaises herbes », identification d’une pousse, recherche de graines d’une espèce rare, conseils de bouturage, plan pour fabriquer une jardinière à partir d’une palette, débats sur l’utilisation d’engrais ou l’arrosage du potager… Toutes les préoccupations des jardiniers amateurs sont mises sur la table. Cette année, c’est la lutte contre le mildiou – cette maladie qui s’attaque notamment aux tomates – qui accapare une partie des conversations. Sans pour autant détrôner les fières photos de récoltes de courgettes, pommes de terre ou autres. « Les jardiniers sont un peu comme les pêcheurs de Marseille qui posent avec leurs prises ; ils aiment bien montrer ce qu’ils ont fait pousser », s’amuse André Abrahami. Les réseaux sociaux permettent ainsi de démultiplier le nombre d’admirateurs !

Au détriment du réel ? A priori non. « On continue à échanger avec nos proches ou nos voisins, mais souvent, c’est plus rapide et plus simple d’aller poser une question sur Internet », estime Stéphanie Chaillot. Avec son téléphone portable sous la main, une simple recherche et, en quelques secondes, le jardinier obtient sa réponse. Les jardiniers du Web ne notent cependant pas une diminution des échanges humains autour du jardinage. Le site de Stéphanie Chaillot est d’ailleurs devenu « une grande famille, des amitiés se sont créées ». Omar, le jardinier de l’Ariège, le confirme : si, autour de lui, nombre de ses voisins disposent également d’un jardin, Facebook lui a surtout permis d’élargir l’horizon de ses interactions sur le sujet. « Le virtuel permet de diversifier les points de vue », note-t-il, content de confronter sa vision du jardinage. Désormais, il profite même de déplacements professionnels pour visiter des potagers ou échanger des graines avec des personnes rencontrées en ligne.

S’il se connecte quasi quotidiennement sur le groupe, il ne perd pas son regard critique sur la multitude de contenus disponibles en ligne : « Les néo-jardiniers compilent parfois des concepts de manière assez douteuse… et bizarrement, sur les groupes Facebook, on rencontre des gens qui ne jardinent pas, mais se permettent quand même de venir faire la leçon. Cela m’est arrivé une fois avec un internaute venu m’expliquer comment cultiver les pommes de terre… alors qu’il vivait en appartement et s’appuyait uniquement sur ce qu’il avait entendu sur YouTube ! »

Malgré ces désaccords et ces courants, les communautés de jardiniers amateurs en ligne, très actives, sont plutôt bienveillantes. Certains jardiniers youtubeurs rassemblent, eux, des milliers de fans et sont rémunérés par la plateforme de vidéos environ 3 à 4 euros pour 1 000 vues. Loin des stars comme Squeezie, Cyprien ou Norman. Mais de quoi mettre du beurre dans les épinards… du jardin, bien sûr ! 

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