C’est le genre d’annonce qui s’écoute à Bercy avec intérêt : le 23 mai dernier, le Fonds monétaire international a dit anticiper un déficit public pour la France « nettement supérieur » aux prévisions du gouvernement, à 5,3 % du PIB. Un camouflet pour Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, mais, surtout, chantre de l’orthodoxie budgétaire, dont le bilan de ce point de vue contraste nettement avec les discours. La dette publique française dépasse désormais les 3 000 milliards d’euros, un niveau évidemment record. Surtout, le pays a vu son endettement multiplié par trois en vingt ans, au gré des diverses crises (financière, sanitaire, énergétique), des taux d’intérêt bas, mais aussi d’orientations politiques délibérées, qui ont parié sur les baisses d’impôts pour les entreprises et les plus fortunés. Résultat : lancée à toute allure sur l’autoroute de la dette, la France n’aperçoit plus que dans le lointain du rétroviseur le totem des 60 % visés naguère par Maastricht.

Mais est-ce si grave, docteur ? Faut-il s’affoler devant cette montagne de créances, qui représentent désormais l’équivalent de 45 000 euros par habitant ? C’est la question que pose ce numéro du 1 hebdo, qui se penche sur cette réalité complexe grâce, notamment, à une leçon d’économie éclairante signée Jean Pisani-Ferry. À la lumière de ses analyses, mais aussi de celles de l’historienne Laure Quennouëlle-Corre ou de l’économiste Anne-Laure Delatte, la dette perd de sa valeur morale pour retrouver un sens économique : elle n’est qu’un actif financier parmi d’autres, qui ne peut être compris qu’en lui associant d’autres variables – taux d’intérêt, inflation, ou encore identité des détenteurs… Et, de ce point de vue, la France n’est pas beaucoup plus mal lotie que ses partenaires occidentaux.

Alors d’où vient l’inquiétude liée à la dette ? Peut-être à son instrumentalisation dans le débat public et les choix politiques. Après la parenthèse du « quoi qu’il en coûte », l’accent est désormais mis au sommet de l’État sur la réduction des dépenses publiques, sans vouloir toucher à l’outil fiscal – de quoi rassurer les marchés et, sans doute, le FMI, mais pas forcément le gros de la population, qui craint à juste titre des coupes dans les budgets des services publics. Or, il y a urgence à renouer la confiance dans la capacité de l’État à dépenser les deniers publics efficacement, mais aussi à prélever les recettes avec discernement – alors que se profilent à un horizon pressant les gigantesques investissements que devra mobiliser la transition écologique. Charge à nos dirigeants de laisser aux futures générations une dette légitime. Pour que de cela, au moins, on puisse leur faire crédit.

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