66 milliards d’euros. C’est le coût, par an, de la transition écologique selon le rapport de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz de 2023. Comment la financer ? À quel point faut-il s’endetter pour le climat ?

Bien évidemment, plusieurs moyens sont envisageables pour financer cette transition : réduire certaines dépenses, augmenter certaines recettes… C’est d’ailleurs une des préconisations de ce rapport :  augmenter les recettes en réinstaurant un impôt sur la fortune climatique. Mais cela ne peut pas suffire. Un nouvel endettement doit faire partie du mix, il est inévitable.

D’un point de vue économique d’abord. Le Fonds monétaire international a lui-même prévenu que la dette publique allait augmenter drastiquement dans tous les pays – entre 10 et 15 points de PIB dans les scénarios optimistes, et plus de 50 dans les scénarios pessimistes, malheureusement les plus probables. Pourquoi ce ratio va-t-il augmenter ? Tout simplement parce qu’avec la crise écologique, le PIB risque de subir une baisse inédite de 20 % d’ici à 2050, ce qui va mécaniquement creuser le ratio dette publique sur PIB. En effet, le coût de la crise écologique, si l’on ne fait pas dès maintenant les bons investissements, va être incommensurable. Car plus on attend, plus la situation va se dégrader – entraînant avec elle des baisses de revenus importantes, et donc une incapacité encore plus grande à rembourser la dette. On entend souvent l’argument : « Les dettes que l’on contracte maintenant devront être payées par nos petits-enfants, c’est injuste pour eux. » C’est un argument idéologique fallacieux. Le coût écologique que nos descendants auront à payer si nous n’enclenchons pas dès aujourd’hui la transition sera immensément supérieur. De ce point de vue, il est donc non seulement nécessaire de s’endetter, mais surtout de s’endetter maintenant. 

« Il faudrait que les banques centrales elles-mêmes se portent garantes de cette dette »

D’un point de vue moral ensuite. Imaginez que vous êtes atteinte d’une maladie très grave, mais qu’en vous endettant, vous puissiez vous offrir un traitement. Allez-vous refuser sous prétexte que vous préférez conserver un budget équilibré ? C’est la même chose. D’autant plus qu’il existe un moyen de financer cette dette, que de nombreux économistes et associations essaient aujourd’hui de promouvoir. Dans un contexte exceptionnel de crise écologique, on pourrait imaginer une dette exceptionnelle, entièrement soutenue par les banques centrales comme la Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale des États-Unis (FED) – cela a d’ailleurs été imaginé par l’auteur de science-fiction Kim Stanley Robinson dans son best-seller Le Ministère du Futur. Concrètement, qu’est-ce que cela voudrait dire ? En temps normal, on n’implique pas les banques centrales dans l’endettement des États, afin de garantir la stabilité et la crédibilité monétaire du pays. Les États s’endettent de leur côté, et les banques centrales émettent la monnaie du leur. Mais pour cette dette écologique énorme, on pourrait imaginer que les banques centrales s’impliquent et encouragent les investisseurs à prêter aux États en disant : « S’il y a un problème, je serai là, et je créerai des liquidités. » Elles pourraient soutenir les États vertueux, donner des primes pour les actifs verts… Pour résumer, il faudrait que les banques centrales elles-mêmes se portent garantes de cette dette.

Pourquoi n’est-ce pas déjà le cas ? C’est un problème éminemment politique. Certains pays européens – l’Allemagne et les Pays-Bas par exemple – y sont farouchement opposés… À cause de leur histoire nationale, ils ne peuvent pas imaginer mettre en péril la crédibilité de leur monnaie. Mais dans les faits, la BCE garantit déjà des dettes depuis la crise financière de 2012. C’est le fameux « quoi qu’il en coûte », prononcé par Mario Draghi. Les banques centrales ont déjà garanti un grand nombre de choses pour assurer la stabilité financière. Pourquoi ne feraient-elles pas la même chose pour le climat ? 

 

Conversation avec LOU HÉLIOT

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