On s’est masqué, on s’est confiné, on s’est fait tester, on s’est refait confiner, en attendant d’être vacciné. Et toujours aucune lueur à l’horizon. Anne, la sœur Anne, ne voit rien venir.

Le plus dur dans cette affaire, c’est le manque de visibilité. Un brouillard à couper au couteau. Ces fichues gouttelettes, maintenues en suspension dans l’air, font perdre tous les repères. Et pas de phares antibrouillard qui tiennent. L’avenir est complètement flou.

Comment conduire sa vie par temps de brouillard ? Redoubler de vigilance, réduire sa vitesse, se garer au besoin ? À bout de nerfs, des débrouillards foncent à tombeau ouvert dans cette purée de pois, comme pour hâter leur délivrance.

La différence entre un confiné et un condamné de droit commun, c’est que le second sait quand se terminera sa détention. Après avoir purgé sa peine, c’est « la quille ». L’origine du mot est incertaine. Au milieu du xixe siècle, « jouer des quilles » signifiait s’enfuir, prendre ses jambes à son cou. Et le bateau ramenant en métropole les forçats libérés du bagne de Cayenne était, paraît-il, surnommé la Quille…

Quand le service militaire existait encore, des bidasses commençaient un compte à rebours le centième jour avant leur démobilisation. Sur un tableau, ils rayaient chaque matin un bâtonnet, comme des quilles qui tombent, en s’exclamant : « Vivement la quille ! » C’était réglé comme du papier à musique, sans aucune fausse note, aucun variant, anglais, sud-africain ou brésilien. Et le jour de leur libération, ces heureux hommes, vaccinés contre la caserne où ils avaient appris les bonnes manières, pouvaient crier : « La quille, bordel ! » 

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