Le pouvoir politique connaît aujourd’hui une situation paradoxale : il est à la fois tout-puissant et malade du Covid. Omnipotent, il semble assurément l’être devenu depuis un an. L’exécutif gère l’épidémie sans réels contre-pouvoirs et manifeste son emprise absolue sur tous les domaines de la politique publique à travers un « décisionnisme » extrême : planification économique, politique sanitaire, contrôle de l’ordre public et des frontières… Le tout sans devoir tenir compte des contraintes budgétaires. L’argent magique existe, le virus l’a inventé.

Le Covid annonçant la souveraineté retrouvée de la politique, qui l’eût cru ? En tout cas, d’une certaine conception de la politique, car la pandémie enterre également une partie des acquis de la démocratie. Les libertés publiques sont rognées au nom de l’État d’urgence sanitaire ; les droits fondamentaux de se rassembler et de circuler librement se trouvent restreints ; la délibération est quasi absente au Parlement comme dans l’opinion ; l’opposition est rendue atone ; et les mouvements sociaux sont réduits à des formes limitées de mobilisation pour faire face aux réformes et aux lois qu’ils souhaitent contester – en témoignent les mouvements contre la loi sur la sécurité globale ou la réforme de l’université… La pandémie a cela d’effrayant qu’elle nous donne une idée précise de ce que pourrait être la vie politique sous un gouvernement autoritaire. Pour autant, n’en déplaise aux complotistes et à l’extrême droite, cette situation n’a pas que des avantages pour le gouvernement : comme à l’hôpital, où la pandémie empêche de prendre le temps de soigner d’autres pathologies dont la gravité n’est pas toujours moindre, le Covid évacue de l’espace public tous les autres sujets politiques que le gouvernement souhaiterait aborder et le prive d’un espace de dialogue avec l’opinion qui consoliderait sa légitimité. Ce faisant, l’épidémie contribue à engendrer une défiance que sa gestion en France – plutôt meilleure que celle des voisins – ne justifie a priori pas. Cette défiance semble libérer des potentiels électoraux nouveaux pour les partis anti-système. D’où la multiplication, depuis quelques mois, des sondages plaçant Marine Le Pen et Emmanuel Macron au coude-à-coude au second tour de l’élection présidentielle de 2022. On peut bien sûr écarter du revers de la main une telle perspective, à un an d’une élection présidentielle qui s’annonce aussi incertaine que la précédente. Mais comment ne pas voir le risque encouru ? Et comment alors reprendre le contrôle ?

Si la crise sanitaire que nous traversons accentue les maux de la politique française, elle pourrait aussi être l’occasion d’y apporter un remède. Face à sa cannibalisation par le Covid, une solution tient au retour de la délibération collective et à la mise en œuvre d’une véritable démocratie sanitaire. Ce concept, défini par le chercheur Didier Tabuteau comme « le fait de tendre vers une organisation de la société reconnaissant la capacité de chacun à connaître, décider et agir pour sa santé et la politique de santé », permettrait de réintroduire de la décision collective dans une période qui isole politiquement chacun d’entre nous. Les esprits chagrins objecteront qu’une telle ambition relève au mieux de l’utopie, au pire de l’irresponsabilité politique. Comment espérer que les Français puissent arbitrer raisonnablement entre leur désir de recouvrer une vie normale et les impératifs de la sécurité sanitaire, d’autant que l’épidémie progresse vite et que les décisions doivent se prendre au jour le jour ? Ce questionnement démocratique est pourtant tout sauf cosmétique. À ce titre, il est déjà au cœur de la politique des agences régionales de santé (ARS) qui perçoivent le danger d’une éviction de la délibération de l’espace public en période de crise sanitaire. Les questions d’acceptabilité sociale dépendent de notre capacité collective à être les acteurs des décisions qui nous concernent. De la géographie du confinement à sa durée, en passant par ses modalités, le Covid nous force à nous poser des questions qui ont été trop longtemps mises en sommeil : qu’est-ce qui est essentiel et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Quels secteurs doivent être administrés et quels autres peuvent être soumis au jeu du marché et de la libre concurrence ? Quelle peut être notre marge de manœuvre individuelle pour participer activement à la lutte contre la maladie, et non seulement passivement, en restant chez nous ? Mise en place de conseils citoyens de santé au niveau local, tirage au sort de représentants des citoyens pour siéger au Conseil de sécurité sanitaire, renforcement de la transparence des décisions publiques liées à la gestion de la pandémie à l’échelle de l’État comme des pouvoirs régionaux, voire référendum sanitaire… Les pistes, nombreuses, existent et certaines d’entre elles faisaient déjà partie de la loi de modernisation de la santé votée en 2016. Reste à passer des intentions aux actes. Dans ce domaine aussi, le temps est compté. 

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