Amélioration de la médecine de proximité, création du métier d’assistant médical, réforme des études de médecine… Voilà quelques-unes des 54 mesures du plan Ma Santé 2022 annoncées par Emmanuel Macron en 2018. Cette stratégie incarne l’espoir de refonte d’un système au bord de la rupture, en témoigne la grande manifestation du 14 novembre qui rassembla infirmiers, chefs de service, internes et autres professionnels de santé. Étaient aussi présents les externes de médecine, qui ne sont pourtant pas réputés pour leur assiduité aux piquets de grève. Le sentiment d’absurdité, d’injustice, de déconsidération a conduit les étudiants dans la rue. L’externat désigne le second cycle des études médicales, de la quatrième à la sixième année, et s’achève avec l’examen classant national, un concours dont les résultats déterminent la spécialité et le lieu d’exercice du futur médecin. Les externes actuels, miraculés d’une sélection post-bac des plus sévères, ressentent un vrai mal-être durant l’externat. Aucune réflexion n’est attendue pour l’apprentissage théorique, il s’agit d’ingurgiter des milliers de pages dont la plupart seront peu ou pas utilisées dans la future pratique médicale. Les stages hospitaliers devraient permettre aux étudiants de se former par la pratique en situation réelle, mais cet objectif est entravé par le bachotage pour le concours final auquel les externes consacrent finalement toute leur énergie. La présence quotidienne en stage est requise et rémunérée 1,29 euro de l’heure la première année, à peine le double aux portes de l’internat, c’est-à-dire à bac + 6. Des gardes et astreintes s’ajoutent au tableau, les temps de repos ne sont pas toujours respectés. D’après une étude de l’Association nationale des étudiants en médecine de France datant de juin 2017, 67 % des futurs médecins souffrent d’anxiété et 28 % de dépression. L’absence de rémunération et de temps rend impossible toute diversité sociale, après un concours d’entrée déjà très inégalitaire. En somme, la formation et la pratique médicales telles qu’elles existent aujourd’hui consistent en grande partie à intégrer des connaissances standardisées et des schémas algorithmiques de raisonnement. Cela garantit que les médecins diplômés maîtrisent l’ensemble des compétences de base nécessaires à leur métier, mais ne laisse aucune place à la créativité et à l’esprit critique de chacun, pourtant essentiels pour comprendre le sens des pratiques. Les protocoles de prise en charge sont définis selon des performances cliniques mais aussi selon des rendements économiques. Si la scientifisation de la santé a permis de réels progrès, la médecine reste par nature intrinsèquement pluridisciplinaire. La vision biologiste actuelle conduit à une formation dans laquelle le patient est oublié. L’approche théorique et livresque des humanités, que cela soit dans les champs sociologiques, philosophiques, littéraires ou historiques, constitue un bagage mosaïque pour le médecin, une ouverture et une compréhension du monde plus larges. Cela l’appelle alors à reconsidérer la place de la médecine dans une société complexe et plurielle, loin de l’automatisme des réponses aux questionnaires à choix multiples dont sont friands nos examinateurs. La pratique artistique permet aussi une approche innovante et participative de l’apprentissage biomédical. Nombreuses, quoique pas assez popularisées, sont les initiatives émergeant dans les facultés françaises, telles la réalisation d’œuvres visuelles par les étudiants pour mettre concrètement en scène les questionnements éthiques ou la théâtralisation de l’annonce diagnostique. Car si le médecin fait appel à la science pour combattre la maladie, il doit également faire face à des controverses d’ordre « humain », inhérentes à l’existence sociale de l’homme, qui sont et seront rencontrées devant les décisions de santé d’aujourd’hui et de demain : quels sont les impacts du changement climatique sur la santé de l’humanité ? comment remédier aux inégalités et aux discriminations qui ont cours dans l’accès au soin ? quelle est encore la place des convictions religieuses et politiques dans l’exercice quotidien de la médecine ? comment mettre l’intelligence artificielle au service de la santé ? Ces controverses crient que la médecine est par définition une pratique des « humanités ». Ces questions éthiques font appel à la part de l’exercice médical qui n’est pas purement scientifique, celle de la décision médicale, de l’empathie et de l’accompagnement du patient par son médecin, que l’on appelle communément le soin. Une consœur expérimentée disait « être médecin, c’est répondre à la confiance d’une personne avec toute sa conscience », posant le dialogue intimiste entre le médecin et son patient.  Cet état de conscience et de recul nécessaire peut être apporté par les humanités.

Le soin peut alors se voir comme un mode de résolution des controverses. Cela explique d’ailleurs probablement le changement en cours, d’une société du bien-être vers une société du soin. En témoigne par exemple, l’utilisation du mot « humanités » qui vient substituer les classiques « lettres » comme incorporation de l’idée de soin au sein de ces sciences. On peut ainsi comprendre ce que concluait Michel Serres sur le déséquilibre entre « les deux têtes du médecin », l’une scientifique, l’autre humaine, comme une invitation à réintroduire le soin au sein de « l’éducation médicale ». Une réponse peut être la responsabilisation de l’étudiant par un pacte de confiance valorisant son autonomie dans le choix de sa formation. Cet accord entre le futur médecin et la Faculté serait un engagement des deux parties pour une meilleure prise en charge du patient. 

 

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