La production et le traitement de l’information sont au cœur même du système de santé : tout épisode de soins commence par l’établissement d’un diagnostic, à partir de symptômes exprimés, d’examens cliniques, d’analyses biologiques ou radiologiques, qu’il s’agit d’interpréter et de transformer en informations utiles à la prise en charge médicale. Pas moins que la prise en charge elle-même, aucun de ces actes diagnostiques n’échappe à la numérisation ; l’activité de soins génère donc désormais une quantité considérable de données. Or, cette production massive de données et la facilité avec laquelle elles peuvent être partagées bouleversent une architecture du système de soins construite autour du médecin, à qui était traditionnellement confié, et dans le seul objectif clinique de mieux soigner chaque patient, le monopole du traitement de ces informations.

Ces données de santé sont très diverses, et produites par de multiples acteurs, publics comme privés. Les informations nécessaires à la gestion des flux financiers publics, qu’il s’agisse du remboursement des patients par la Sécurité sociale ou du financement des hôpitaux selon leur activité, alimentent le Système national des données de santé (SNDS), constitué de bases de données de taille considérable, et dont les usages potentiels sont multiples : leur analyse statistique peut éclairer la charge financière des soins et sa couverture par l’assurance maladie, l’activité hospitalière, les parcours de soins, la consommation de médicaments, etc. Bien que portant sur plus de 60 millions d’assurés sociaux, ces données sont toutefois incomplètes : d’une part, pour ce qui concerne les flux financiers, elles ne sont pas nourries des données de gestion des organismes complémentaires (mutuelles…) dont le rôle dans la garantie d’un accès aux soins sans barrière financière est pourtant essentiel ; d’autre part, elles ne comportent à ce jour que peu d’informations de nature médicale ou clinique.

Cependant, la mise en œuvre du dossier médical partagé, contenant dans un format numérique toutes les données médicales de chaque patient, pourra étendre le SNDS dans cette dernière dimension, et multiplier les usages potentiels de ces données. Ceux-ci peuvent obéir à des finalités de santé publique, de la surveillance épidémiologique des maladies et de leur prise en charge à la détection des défaillances du système de soins, en passant par le suivi de la consommation effective des médicaments et de leurs effets sur la santé des patients, ou l’alimentation d’intelligences artificielles déjà plus performantes qu’un médecin, par exemple en radiologie dans la détection des tumeurs. Mais, potentiellement, l’exploitation de ces données n’est pas uniquement d’intérêt général : ainsi, le suivi à un niveau fin des ventes de médicaments dans telle ou telle pharmacie pourrait nourrir des études marketing des laboratoires, tout comme l’observation des maladies et des parcours de soins pourrait renseigner un assureur sur l’état de santé d’une personne souhaitant s’assurer. Garantir que les intérêts privés de l’exploitation des données de santé contribuent au bien-être collectif n’est pas impossible, mais nécessite des régulations adéquates. En outre, la tension est vive entre la stricte protection de la confidentialité des données individuelles et l’ouverture des bases de données statistiques portant sur des populations dans lesquelles l’identification d’un individu doit rester impossible.

Il n’en reste pas moins que l’exploitation des données de santé peut contribuer de manière déterminante à l’amélioration de l’efficience du système de santé comme à une meilleure équité des soins et de leur financement. Mais le potentiel de ces données ne sera véritablement exploité que lorsque les nombreux acteurs privés du système de soins et d’assurance contribueront à l’alimenter, ce qui nécessitera d’ouvrir plus largement leur accès, lorsque leur usage contribue à l’intérêt général, au-delà des seuls utilisateurs publics. 

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