L’examen du projet de loi sur la bioéthique au Sénat et à l’Assemblée nationale illustre à quel point la procréation médicalement assistée (PMA) suscite des interrogations dans notre société. Le désir d’enfant et le droit d’en avoir s’opposent ici à la non-marchandisation du corps ou à la défense de la figure paternelle. Mais, au-delà de la PMA, la bioéthique engage des champs bien plus vastes de la science, aux prises avec ce que la société souhaite ou accepte. Comment naît-on ? Comment meurt-on ? Et, entre les deux, comment vit-on, ou comment augmente-t-on sa vie, ses chances de vivre longtemps et en bonne santé, sans remettre en cause ce qui émergea brutalement au lendemain du deuxième procès de Nuremberg de 1946-1947, lors duquel ont été jugés les médecins nazis : la nécessité impérieuse de bannir la torture, l’absence de consentement, les risques d’eugénisme ? Comment penser et organiser un progrès qui préserve ce qui fait de nous des êtres humains, dans une démarche qui inclut l’environnement, la justice et les questions migratoires, en un mot le respect des plus fragiles ?

Ces questions du vivant sont essentielles dans un moment où l’accélération des découvertes scientifiques – des méthodes de procréation nouvelles à l’usage des cellules souches – bouscule nos savoirs, nos perspectives et nos certitudes. « Un monde inconnu est en train d’apparaître, nous dit le pédopsychiatre et psychanalyste François Ansermet. Le temps de la science, des technologies possibles, avance plus rapidement que le temps des représentations. Ce qui se présente va plus vite que ce qui se représente. » Brillante formule pour dire combien notre imaginaire commun concernant, entre autres, la naissance, la filiation et la mort est bousculé par les découvertes scientifiques.

Pour aborder ces questions complexes où le langage est souvent impuissant à cerner ce qui nous attend, il fallait s’appuyer sur une grande expertise. C’est pourquoi nous sommes très fiers du partenariat* noué avec l’École normale supérieure (ENS), à travers son directeur adjoint, le philosophe Frédéric Worms, et avec le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sous l’impulsion de son président Jean-François Delfraissy. Leur engagement et leur réflexion exigeante sans cesse tournés vers la pédagogie nous ont permis de construire ensemble ce numéro exceptionnel. « La bioéthique est un défi pour la démocratie », insiste Frédéric Worms. C’est le but de ce 1 consacré aux controverses autour de l’humain et aux doutes qui en découlent : permettre à chacun de se saisir des enjeux de la science et de les confronter, en conscience, à ses valeurs comme à ses désirs. Pour se construire et partager un nouvel imaginaire sur ce qui nous est le plus précieux : la vie. 

* À l’occasion des conférences organisées par l’ENS et le CCNE lors de la Nuit des idées du 30 janvier.

 

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