En 2016, Alain Juppé a été proclamé président de la République durant quelques semaines. Désigné par les instituts de sondage, les médias et la vox populi, son ascension était irrésistible. On connaît la suite. Ces derniers mois, la lumière tombe sur un journaliste politique, Éric Zemmour, tenté par l’aventure élyséenne. L’euphorie gagne son entourage, des sondages le situent à un très bon niveau d’adhésion populaire alors qu’il n’est toujours pas candidat, les médias lui offrent leur une, les réseaux sociaux vibrionnent, chacun se positionne par rapport à son discours… La démocratie française en est là, prise d’excitation, d’une effervescence brouillonne, de bouffées d’hystérie. Serions-nous devenus une république sondagière, comme il existe des républiques bananières ?

Dans ce numéro du 1, nous cherchons à analyser les causes de ces emballements de l’opinion publique. La sondagite, cette inflation de sondages qui nous donnent l’impression de prendre la température de la vie politique jour après jour, constitue un élément clé du phénomène. Vite fait, mal fait pour la plupart d’entre eux, commandités par les partis ou les médias, ils contribuent sous couvert d’objectivité à nourrir les réseaux sociaux en perpétuelle demande de clashs. Ainsi naît le buzz justifiant la convocation d’experts et d’acteurs en tous genres sur les plateaux des chaînes d’info en continu. Ainsi naissent les « bulles sondagières », pour reprendre une expression du politiste Alexandre Dézé dans le grand entretien qu’il nous a accordé. Une analyse qui fait apparaître à quel point un outil destiné à mieux comprendre les évolutions de la vie politique et sociale a été progressivement perverti, dégradé en produit low cost, l’un chassant l’autre à un rythme de plus en plus soutenu.

Dans cette hystérisation de la vie politique, les réseaux sociaux, les médias et le système présidentiel ont leur part de responsabilité. Ils sont parties prenantes de cette économie qui promeut un spectacle politique dangereux. Spécialiste en science politique, Arnaud Mercier analyse dans ce numéro les contours et les effets de ce cocktail addictif. Face à ces critiques sans appel, nous donnons la parole au directeur délégué de l’institut Ipsos, Brice Teinturier. À charge pour lui de répondre, de plaider, de porter la contradiction et de nuancer un débat crucial pour notre démocratie. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !