Un certain Z.
Temps de lecture : 4 minutes
Un téléphone a sonné. Puis un autre. Des sirènes ont hurlé.
Allô, a dit une voix amie, allume la radio, vite, allume BFM, ou LCI, ou CNews. S’il te plaît. Écoute. Il se passe de drôles de choses. Enfin drôles, ce n’est pas le mot.
Un certain F. dialoguait avec un certain Z.
Ils annonçaient tous deux, avec une mélancolie mêlée de rage, la fin d’un monde, le nôtre, ou plutôt le leur, avec ses costumes bleus, et ses chaussettes en fil d’Écosse. Ses chemises toujours bien repassées (par qui ? mystère). Au même instant, plusieurs sonneries ont retenti. Une porte cochère a claqué, deux trottinettes se sont télescopées. Un automobiliste a démarré en vociférant des insultes. Un vélo a freiné devant une passante. Des ambulances couinaient. Un gyrophare éclairait la scène par à-coups. Des gens en baskets passaient, scandant des « on est là », et des « Macron démission ». Et d’autres slogans plus rigolos, plus injurieux, mais essentiellement énervés.
Quel vacarme, me suis-je dit, toujours observatrice de ce qui m’entoure. Aux aguets et fine commentatrice. Prête à mettre des mots sur mes émotions de pensée.
Quelle violence. Quelle rage.
Que se passait-il donc ? Il pleuvait, la nuit tombait, les feuilles jaunes des marronniers et des hêtres tourbillonnaient tranquillement vers un sol détrempé, une odeur de tourbe, de feu de cheminée, de marrons grillés rôdait.
Il ne se passait rien.
Que de l’habituel, en automne. Des chantiers dans la ville, des embouteillages, des tornades molles, une vague tristesse.
Et pourtant l’atmosphère était électrique, terrifiante. Une atmosphère de guerre civile, mais sans guerre, sinon le bruit, sinon les écrans. Je me suis souvenue d’un texte d’Henri Michaux, un texte tiré je crois d’Un barbare en Asie. La bataille, la bataille, la bataille, scandait Michaux, décrivant des monstres se roulant dans la boue. Mais qui, et contre quoi, et pourquoi ?
Hystérisation, c’est cela. De l’attente, de l’énervement, des bruits, de la peur, des cris, et puis rien. Et enfin, ouf, soulagement, l’incarnation qui calme, qui apaise. Le Père Fouettard qui renvoie chacun dans sa chambre. L’Ordre.
Et cela ressemblait exactement à notre paysage.
Hystérie, aurait dit le psychanalyste François Perrier pour décrire la situation. Hystérie des sondages, excitation des chiffres, excitation et trouble. Comme si nous jouissions d’avoir peur de nos ombres. Peur de la mort invisible qui rôde.
On dirait que la droite est en train de gagner la bataille des idées, m’a dit au téléphone une amie terrifiée (oui, je téléphone beaucoup). La droite ? Oui, la droite. La droite exaspérée et sûre d’elle-même, la droite horripilée par le laxisme des juges, l’incompétence de tous, les revendications des femmes, les exagérations des femmes, l’hystérie des bonnes femmes, le désordre induit par les femmes et les enfants, le bruit des adolescents, le vacarme des terrasses, les survêtements à capuche des jeunes garçons de banlieue, le foulard des jeunes filles. Le bordel en un mot.
Je ne veux voir qu’une seule tête, disait mon instituteur. Pas une seule capuche, pas un seul foulard. Une seule tête, et bien dégagée derrière les oreilles.
Comme cette amie m’avait plusieurs fois remonté les bretelles parce que je faisais appel à ces notions de gauche et de droite, périmées selon elles comme de vieux yaourts, je me suis permis d’émettre une petite réserve : Je croyais qu’on en avait fini avec cette opposition gauche-droite, ai-je rétorqué, un peu ironique. Un peu seulement, car l’époque commençait à ne plus se prêter si bien à l’ironie amicale. Elle a haussé les épaules – téléphoniquement – agacée, évidemment.
La gauche préférera toujours la justice à un désordre, la droite choisit l’ordre, au prix d’une injustice.
Pendant qu’elle me parlait (ne lui dites pas, elle serait très fâchée), j’avais allumé la télé. Christine Kelly, une animatrice de CNews et très heureuse de l’être, interviewait son idole, un certain Z., très à l’aise, lui aussi. Il commentait son ascension vers les sommets désormais sans neige : Je suis la vie, disait-il, carrément. La vie de la France. Le sauveur. Contre les hordes. Les Autres. Porteurs de mort. J’ai pensé aux morts-vivants de Game of Thrones. À ces corps effrayants montant à l’assaut du Mur.
J’ai regardé par la fenêtre, pas de horde. Mais sans doute n’avais-je pas les bonnes lunettes. Ne voyant rien venir, j’ai repris mon livre. Un certain Cicéron interpellait un certain Catilina, putschiste et bandit de son état : Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra, disait-il. Jusqu’à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience ?
Oui, notre patience est à bout, ai-je dit à mon amie, ce n’est plus drôle du tout, ces amuseurs de plateau qui brandissent d’horribles menaces et profitent de la peur des gens, parce qu’ils ne veulent pas perdre leurs privilèges ni changer leurs habitudes.
« Il n’y a rien de scientifique dans les sondages aujourd’hui »
Alexandre Dézé
Pourquoi les sondages sont-ils aussi populaires aujourd’hui ?
S’ils occupent une telle place dans la campagne actuelle, c’est notamment en raison de l’affaiblissement du rôle des partis politiques et des difficultés qu’ils rencontrent …
[Échantillons]
Robert Solé
C’ÉTAIT le sondage qui manquait. Il vient d’être réalisé par l’institut YouGov, à la demande du Huffington Post : on a sondé les Français sur les sondages.
Une fabrique de la politique
Vincent Martigny
Scientifiquement ineptes, biaisés dans leurs questions comme dans les réponses qu’ils fournissent, rendant compte d’une réalité partielle et partiale, imprécis et en partie responsables de l’hystérie de notre débat public…