Alors que le pays s’apprêtait à basculer dans l’ère post-Merkel, l’hebdomadaire allemand Die Zeit n’hésitait pas à titrer : « C’est la campagne électorale la plus ennuyeuse de tous les temps. » Et force est de constater que les débats entourant la succession de la chancelière Merkel se sont déroulés dans un calme particulièrement déroutant pour les observateurs français. Aucun candidat surprise, pas de bataille de chiffres ni d’attaque ad hominem, mais un débat d’idées argumenté et respectueux. Comment expliquer une telle retenue ?

Comme l’observe judicieusement Thomas Wieder, correspondant du Monde en Allemagne, « le pays n’est pourtant pas naturellement immunisé contre l’hystérisation du débat ». Il existe aussi outre-Rhin une extrême droite virulente, un réel défi migratoire et de vives tensions économiques… Mais tout cela n’a pas suffi à faire dégénérer le débat.

L’une des premières explications tient à l’exemplarité de la chancelière elle-même. « La plus haute responsable politique d’Allemagne n’a jamais soufflé sur les braises, jamais fait d’agitation, analyse Thomas Wieder. Au contraire, elle a toujours cherché le compromis. » En cela, Angela Merkel est restée fidèle à l’un des fondements de la République fédérale : la négociation. En vertu du système de scrutin proportionnel qui rend quasi impossible l’obtention de la majorité absolue, les partis politiques sont en effet tenus de s’entendre pour former une coalition. « La CDU/CSU, le SPD, les Verts comme le FDP savent d’entrée de jeu qu’ils vont devoir travailler ensemble pendant toute la durée du mandat, souligne Frank Brettschneider, professeur en sciences de la communication à l’université de Hohenheim. Ce qui explique en grande partie le respect dont ils ont pu faire preuve les uns envers les autres pendant la campagne. »

À cela s’ajoute un clivage entre les partis politiques bien moins marqué qu’en France. « Chez vous, les partis se divisent encore assez nettement entre la droite et la gauche, les conservateurs et les socialistes, analyse Matthias Jung, directeur de l’institut de sondage Forschungsgruppe Wahlen. En Allemagne, cela fait des décennies – depuis la chute du mur de Berlin – que cette polarisation s’est estompée. Tous les grands partis convergent désormais vers le centre. Il y a en vérité très peu de différences entre Merkel et Olaf Scholz. » Cette configuration particulière de l’éventail politique tend également à marginaliser les éléments les plus extrêmes : « L’extrémisme n’est pas une position viable dans la vie politique allemande, estime Thomas Wieder. La façon dont fonctionne aujourd’hui la démocratie allemande rend quasiment impossible l’irruption d’une figure comme Zemmour, non seulement sur la scène politique, mais aussi dans le paysage médiatique. »

C’est sans doute la structure très particulière de ce dernier qui explique aussi le caractère mesuré du débat politique en Allemagne. Dans ce pays historiquement très attaché à la presse écrite, il n’existe aucune chaîne d’information en continu comme CNews en France ou Fox News aux États-Unis. « Nos chaînes de télévision privées ne s’occupent pas de politique, elles se concentrent plutôt sur le divertissement », souligne Matthias Jung.

Ce qu’il faut savoir également, c’est que les sondages en Allemagne sont devenus la chasse-gardée des grands médias d’information. « Depuis plusieurs décennies, les grands journaux, papier ou télévisés, ont le monopole de la commande de sondages », explique le sondeur. L’institut qu’il dirige travaille par exemple exclusivement avec la chaîne télévisée ZDF. « Un tel système évite que les partis ne manipulent les résultats et garantit une pluralité des sondages. »

Tout n’est cependant pas idyllique outre-Rhin, car la guerre informationnelle y sévit comme ailleurs. « Une rude concurrence commence à se faire jour. Des tabloïds et des sites Internet diffusent de plus en plus leurs propres sondages, de qualité douteuse », regrette Matthias Jung. C’est le cas par exemple du journal Bild, le quotidien le plus lu d’Allemagne : « Leurs résultats sont tronqués, leurs méthodes discutables. Le but est de faire polémique, s’indigne le chercheur. À ce titre-là, on peut certainement parler d’une hystérisation du débat. » Il y a quelques mois, Bild a d’ailleurs annoncé la création d’une chaîne de télévision qui sera non seulement consacrée au sport et au divertissement mais aussi… à la politique. 

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